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14.12.2016 Article
121a de la Constitution Une mise en œuvre utile, modérée et constructive Roger
Nordmann Conseiller
national, Président du Groupe socialiste de l’Assemblée fédérale. Le
Parlement est sur le point d’adopter la législation
d’application de l’article 121a de la Constitution, introduit
par l’initiative dite « contre l’immigration de masse ».
Partant
d’une situation très complexe, la solution retenue me parait
juste et équilibrée. Rappelons ici brièvement son contenu. Afin
d’utiliser au mieux le potentiel de la main d’œuvre locale, la
Confédération prend des mesures, par exemple dans le domaine de la
formation ou de la compatibilité entre la vie familiale et
professionnelle. Dans les régions, les domaines d’activité ou
les professions qui connaissent un chômage plus élevé que la
moyenne, les entreprises peuvent être obligées d’annoncer les
postes vacants aux offices régionaux placements. Dans un premier
temps, l’accès à ces offres est réservé aux personnes qui sont
inscrites aux offices régionaux placements (ORP), qu’elles soient
de nationalité suisse ou européenne. Les ORP soumettent ensuite
des candidatures aux entreprises, qui doivent inviter les profils adéquats.
Il s’agit donc, dans les faits, d’une priorité accordée aux chômeurs
inscrits dans un ORP suisse. Ce
dispositif concrétise le volet de la « préférence nationale »
prévue dans le texte de l’article 121a, avec une nuance pour ne
pas entrer en collision avec les accords bilatéraux : la préférence
est basée sur le lieu et non sur la nationalité. Une
mise en œuvre partielle La
solution élaborée par Parlement constitue une mise en œuvre
partielle. Elle est utile. Elle sera efficace pour donner une vraie
chance aux personnes qui n’arrivent plus à décrocher des
entretiens d’embauche. Un système analogue pratiqué par le
service public et parapublic du canton de Genève conduit à un taux
élevé d’engagement des personnes suggérées par les ORP :
60 à 70% des postes concernés sont ainsi repourvus. Et chaque fois
qu’une personne établie en Suisse trouve un emploi, on évite de
faire appel à des ressources extérieures. Ce mécanisme va donc
exactement dans le sens des initiants, d’autant plus que les
branches où il y a le plus d’immigration sont souvent celles où
il y a le plus de chômage (construction, hôtellerie-gastronomie). La
loi adoptée ne prévoit en revanche pas de contingents et de
plafond pour les ressortissants de l’Union européenne, alors que
ceux-ci sont mentionnés à l’article constitutionnel 121a. Deux
raisons motivent ce choix. La première, de moindre importance,
tient au fait que l’initiative elle-même prévoyait de tenir
compte des intérêts de l’économie. Or, la bureaucratie des
contingents et des plafonds, telle que nous la connaissions à l’époque
du statut de saisonnier, n’est vraiment pas favorable à l’économie.
Pour preuve, mon homologue Adrien Amstutz a obligé le Conseiller
national Jean-Luc Addor à retirer sa proposition de minorité en
faveur de contingents chiffrés. On voit donc que l’enthousiasme
de l’UDC pour un tel instrument est plus que limité. On observa
aussi que les contingents n’améliorent en rien les conditions de
travail. L’expérience des saisonniers montre au contraire
clairement un effet négatif. Par
ailleurs, s’agissant des intérêts de l’économie, il faut
souligner ici l’ardeur avec laquelle l’UDC défend la RIE III,
dont les cadeaux fiscaux insensés ont pour objectif revendiqué
d’attirer en Suisse de nouvelles entreprises, avec pour effet
immanquable de maintenir une immigration forte, voire de
l’augmenter. Le dumping fiscal, pour augmenter l’attractivité
du pays, entre en contradiction directe avec la prétendue volonté
de réduire l’immigration. Toutefois,
la principale raison pour laquelle nous avons renoncé à inscrire
des contingents et de plafonds dans la loi est d’une autre nature
: un tel dispositif serait en contradiction totale avec les accords
bilatéraux. Aussi longtemps que nous ne les avons pas dénoncés,
nous devons les appliquer, selon l’article 5 de la Constitution,
qui prévoit que « la Confédération et les cantons respectent le droit international »,
soit l’adage « pacta sunt servanda ». En cas de
contradiction entre les accords internationaux ratifiés par la
Suisse et une loi fédérale, ce sont les accords qui
s’appliquent, comme l’a confirmé à plusieurs reprises le
Tribunal fédéral. Concrètement, une entreprise qui voudrait
engager un européen et qui se verrait refuser un permis de travail
en raison de l’épuisement des contingents pourrait faire recours.
Selon toute vraisemblance, elle gagnerait son recours, parce que le
Tribunal fédéral appliquerait le droit supérieur. D’ailleurs,
si le Parlement n’avait pas adopté de législation
d’application de l’initiative, le même problème se poserait
pour les ordonnances que le Conseil fédéral devrait alors prendre en
vertu de la disposition transitoire de l’initiative. Le Tribunal fédéral
casserait vraisemblablement aussi des décisions individuelles de
refus fondées sur les contingents décrétés par une ordonnance. Ainsi,
on voit qu’il n’est pas impossible d’introduire des
contingents et des plafonds, mais que si on entend le faire, il faut
d’abord dénoncer les accords bilatéraux. Ou éventuellement les
renégocier de façon à lever la contradiction. Le Conseil fédéral
a tenté l’exercice d’adaptation, mais s’est heurté à un
refus très clair de la part de l’Union européenne et des Etats
membres. Le
Parlement aurait pu dénoncer les accords bilatéraux. Naturellement,
le Parlement aurait pu décider de dénoncer la libre circulation
des personnes, ce qui, en vertu de la clause guillotine, aurait entraîné
la chute des sept premiers accords bilatéraux, et vraisemblablement
aussi de celui de Schengen. La
décision prise par le Parlement, à savoir de protéger les accords
bilatéraux, est absolument juste à mes yeux pour les sept raisons
suivantes. Premièrement,
l’initiative « contre l’immigration de masse »
n’exigeait pas la dénonciation de ces accords, mais seulement
leur renégociation, ce qui implique logiquement d’en maintenir
l’existence. Deuxièmement,
durant la campagne de votation qui a précédé le 9 février 2014,
l’UDC a répété sans cesse que son initiative ne compromettait
pas l’existence des accords bilatéraux. Si l’UDC avait affirmé
que son initiative impliquait d’y renoncer, celle-ci aurait
vraisemblablement été refusée. Troisièmement,
le peuple a manifesté à plusieurs reprises son attachement à
l’existence et au développement des accords bilatéraux. Tant par
les scrutins qui se sont déroulés avant le 9 février, que dans
plusieurs sondages qui sont intervenus après la votation, pour
connaître les intentions réelles des citoyens. Au vu de
l’ensemble de ces prises de position, dénoncer les accords bilatéraux
pour appliquer les contingents aurait constitué une violation de la
volonté populaire, qui n’est jamais constituée d’un seul événement
ponctuel, mais d’une orientation globale et répétée. Quatrièmement,
la construction des accords bilatéraux actuels est extrêmement
favorable à la Suisse. Il est douteux qu’une nouvelle négociation
après dénonciation aboutisse à de meilleurs résultats, surtout
dans un contexte international extrêmement difficile consécutif au
Brexit. Cinquièmement,
la Constitution de la Confédération Suisse n’est pas uniquement
constituée de l’article 121a. Au contraire, de nombreuses autres
dispositions exigent une collaboration très étroite avec
l’Europe : on pense par exemple aux articles 54 (affaires
étrangères),
64 (recherche),
94 (principes
de l'ordre économique)
et 101 (politique
économique extérieure).
La votation du 9 février 2014 n’a pas effacé le reste de la
Constitution. Sixièmement,
l’existence de la plupart des mesures d’accompagnement sur le
marché du travail dépend juridiquement du maintien des accords
bilatéraux. En cas de chute, ces protections disparaîtraient, ce
qui conduirait à un affaiblissement massif du dispositif
antidumping. Une telle suppression conduirait à une aggravation des
conditions de travail des nombreux groupes professionnels les plus
exposés au dumping salarial. L’initiative a justement été
acceptée avec comme argument central la protection de ces catégories
de salariés (ce qui à mon avis était un mensonge). Septièmement,
si le Parlement avait opté pour la dénonciation brutale des
accords bilatéraux, il aurait pu être accusé à juste titre de
renoncer à ses marge de manœuvre, pour pratiquer la politique du
pire, quitte à nuire aux intérêts supérieurs du pays. L’UDC
peut demander explicitement la dénonciation des accords bilatéraux. Si
l’objectif de l’UDC consiste à résilier les accords bilatéraux,
ce qui est son droit le plus strict, elle peut lancer une initiative
populaire dans ce sens. Mais son texte devra être explicite et non
pas formulé de façon indirecte, confuse et contradictoire comme
celui du 9 février 2014. La votation populaire portera alors sur le
renoncement ou le maintien des accords bilatéraux. Poser une
question claire constitue la prémisse indispensable au bon
fonctionnement de la démocratie directe (voir le post-scriptum). Dans
l’immédiat, si l’UDC conteste la mise en œuvre pragmatique
adoptée par le Parlement, elle a la possibilité de lancer le référendum.
Un rejet de la loi en votation populaire conduirait automatiquement
à l’adoption de contingents et de plafonds dans l’ordonnance
qui suivrait. Avec le probabilité très élevée d’échec au
Tribunal fédéral dans des cas concrets d’application. A nouveau,
l’erreur de conception fondamentale de l’initiative de l’UDC
est évidente: pour introduire des contingents et des plafonds, il
fallait explicitement prévoir la dénonciation des accords bilatéraux.
Mais l’UDC savait bien qu’une telle démarche n’aurait eu
quasiment aucune chance en votation populaire. Du
point de vue du Parti socialiste, mais plus encore de l’intérêt
du pays, le résultat est bon. Les accords bilatéraux sont préservés
pour l’instant, ce qui permet de ratifier l’accord avec la
Croatie et de sauvegarder Horizon 2020. De plus, le dispositif des
mesures d’accompagnement est maintenu, avec un réel effort pour
mobiliser la main d’œuvre locale. Enfin, le renforcement du rôle
des ORP permet d’aider concrètement les chômeurs en leur donnant
un avantage concurrentiel. Il s’agit là clairement d’un progrès
social, spécialement pour les plus âgés d’entre eux, qui ont
beaucoup de peine à décrocher des entretiens d’embauche. Si
d’aventure la majorité du Parlement avait choisi la stratégie
inverse, c’est-à-dire décidé de dénoncer les accords bilatéraux
pour instaurer des contingents et les plafonds, de faire tomber les
mesures d’accompagnement et d’isoler la Suisse, nous aurions
alors lancé le référendum pour sauvegarder les relations avec
l’Europe. Au
final, et c’est un véritable exploit, la loi rédigée par le
Parlement produira des effets certes limités mais bénéfiques,
sans entraîner de catastrophe, ni d’effets pervers. Le Parlement
s’est donc montré à la hauteur de la situation, sachant combien
il est difficile de produire des politiques contructives à partir
d’intentions aussi confuses que perverses. Post-Scriptum : Sous
l’impulsion de mauvais juristes et de conseillers en communication
vicieux, l’UDC a lancé une nouvelle initiative populaire intitulée
« Le
droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) ».
L’UDC laisse entendre que si cette initiative est acceptée, il
sera alors possible d’introduire les contingents voulus par son
initiative précédente. Mais on peut en douter, vu que la nouvelle
initiative prévoit la formulation suivante : « Le
Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer
les lois fédérales et les traités internationaux dont l’arrêté
d’approbation a été sujet ou soumis au référendum. Comme
la plupart des accords bilatéraux avec l’Union européenne étaient
non seulement soumis au référendum facultatif (et que celui-ci a
été activé), il paraît difficile d’affirmer qu’une
acceptation de la nouvelle initiative permettrait d’instaurer des
contingents au détriment du respect des accords bilatéraux. On
voit donc que, si le but de l’UDC est de résilier les bilatérales,
elle doit cesser d’avancer masquée et impérativement lancer une
initiative de résiliation clairement formulée.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |