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(Le Temps, 1.12.2016)
Défendre
les classes moyennes, c’est refuser la RIE III Ada
Marra, Conseillère nationale et Roger Nordmann, Conseiller national Les
classes moyennes sont au cœur de l’actualité. En Europe comme
aux Etats-Unis, l’accroissement des inégalités les fragilise.
Partout, leur appauvrissement inquiète les acteurs politiques. Dès
lors et à juste titre, chacun souhaite les protéger, en déployant
diverses stratégies. Or, en Suisse, la première manière
d’assurer leur défense est de refuser la RIE III. Un retour sur
le contenu du projet permet de comprendre cette mise en garde. Au terme des débats
parlementaires, la troisième réforme de l’imposition des
entreprises (RIE III) se résume à une vaste opération de baisse
de l’imposition des entreprises, entraînant des pertes fiscales
supérieures à 3 milliards de francs par année. Les fameux
« statuts spéciaux » tombés finalement en disgrâces
en Europe ont été remplacés par un ensemble d’astuces non liées
à l’origine géographique des profits, mais plutôt à leur
nature. Deux exemples illustrent ce nouveau trucage. Premièrement les « Patent-box » :
les entreprises qui tirent leurs bénéfices de brevets pourront
faire valoir un abattement de 90 %. Autrement dit, celle qui tire 20
millions d’un Brevet aura la possibilité de ne déclarer que 2
millions. Ce tour de passe-passe baisse drastiquement le bénéfice
imposable. Et comme cet abattement est non seulement ouvert aux
brevets, mais aussi aux « droits comparables », son
impact sera immense. Interpellé sur la question, le Conseil fédéral
a, la semaine passée, refusé de préciser la portée et l’impact
financier de cette astuce. Deuxièmement les « intérêts
notionnels » : les entreprises pourront déduire des intérêts
sur le « capital propre excédentaire ». Il s’agit
d’une déduction entièrement fictive, puisque, par définition,
on ne paye pas d’intérêt sur les fonds propres. Pour les PME,
souvent peu capitalisées, ces déductions n’apportent rien,
d’autant que le taux applicable, celui des obligations de la Confédération,
est actuellement aux alentours de zéro. Par contre, ce dispositif
constitue un véritable jackpot
pour les grands groupes internationaux, qui pourront, aux termes de
la loi, faire valoir comme taux d’intérêt celui auquel ils prêtent
de l’argent à des sociétés apparentées, soit facilement 3, 4
ou 5%. Sur la base des chiffres fournis
par le Conseil fédéral et au vu des ajustements effectués au
parlement, les pertes s’élèvent au moins à 2.7 milliards de
francs. Cette estimation constitue un minimum pour deux raisons.
D’une part, la réforme comprend plusieurs éléments très élastiques,
à tel point que l’administration fédérale a refusé de procéder
à un chiffrage exact et actualisé (Le Temps du 6.10.2016). D’autre
part, le message postulait une baisse du taux aboutissant à une
imposition moyenne du bénéfice à 16%. Or de nombreux cantons sont
en passe de descendre nettement en dessous de ce seuil, dans une
spirale baissière sans précédent. Les bénéficiaires de ce casino
fiscal sont faciles à identifier : il s’agit des
actionnaires des grandes entreprises présentant un bénéfice
imposable. Les avantages seront donc essentiellement réservés aux
multinationales, dont l’actionnariat est réparti tout autour du
globe. Dans la mesure où elles font rarement du bénéfice et rémunèrent
leur patron par un salaire, les PME sont hors jeu. Et qui sont les perdants ?
Quand les trois milliards manqueront dans les caisses publiques,
trois effets se combineront: hausse de la fiscalité indirecte
(taxes et émoluments), hausse de la fiscalité directe, spécialement
au niveau communal, et baisse dans les prestations. Supprimer une
semaine d’école, comme cela a été fait à Lucerne, ou réduire
les soins à domicile, voilà deux exemples de conséquences
possibles et bien réelles. L’impact sur la charge fiscale
et parafiscale des personnes physiques se répartira sur l’entier
des classes moyennes. Pour un ouvrier non-qualifié qui gagne Fr.
4300.- par mois ou une jeune ingénieure HES payée 6000 par mois,
ce sont plutôt les hausses des taxes qui feront mal (par exemple
par les tarifs des garderie). Pour les revenus plus aisés, comme la
patronne d’une PME gagnant Fr. 150’000.- par an où un médecin
dont le revenu s’élève Fr. 200 000.-, la facture touchera
l’impôt sur le revenu. Mais l’opération ne sera en aucun cas
indolore ! En février 2017, la Suisse
s’offrira un débat d’une actualité brûlante sur le statut des
classes moyennes. Grace au référendum lancé par la gauche, les
citoyennes et les citoyens pourront dire s’ils acceptent un déplacement
massif de la charge fiscale des personnes morales vers les classes
moyennes. Ou s’ils le refusent. A l’origine, le projet de RIE
III devait mettre la Suisse en conformité avec les standards
internationaux, dont le but explicite est d’éviter une
sous-imposition des bénéfices. Il est particulièrement choquant
que l’intention initiale, louable, ait été dénaturée au point
d’avoir l’effet exactement inverse, à savoir creuser les pertes
sur l’imposition des entreprises. Notre régime de démocratie
directe nous donne le droit de renvoyer ce mauvais paquet à l’expéditeur :
il est impératif de l’exercer.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |