|
20.2.2015, Le Temps Réponse au texte de M. Ermotti, CEO de l'UBS " Une stratégie pour assurer la prospérité de la Suisse", publié dans plusieurs média, dont "Le Temps" M. Ermotti, ou la logique du poisson rouge M. Ermotti, CEO d’UBS, a
raison de s’exprimer publiquement. Cette attitude est infiniment
plus transparente que les pratiques du siècle passé, lorsque les
grandes banques transmettaient leurs instructions aux politiciens
bourgeois dans l’ombre des salons feutrés. Je ne me joindrai donc
pas au chœur des protestations sur la forme. Le fond est plus
surprenant. A commencer par la conclusion de M. Ermotti, dans
laquelle il reproche aux politiciens de ne pas regarder au-delà de
l’horizon électoral, qui est – on le rappellera – de quatre
ans. Non pas qu’il ait tort sur l’importance du long terme, dont
les élus se préoccupent quand ils présentent aux citoyens des
investissements à l’horizon 2030 ou 2040. Mais venant du monde de
la finance, obsédé par la publication des résultats trimestriels
– un horizon seize fois plus court que la législature politique
–, cette critique surprend. Dans la même veine, M. Ermotti déplore
la lenteur du processus politique, croyant y déceler une volonté
insuffisante plutôt qu’un impératif démocratique. Ici, sa
perspective est peut-être faussée par le fait que la Confédération
a dû, plusieurs fois, adopter un rythme ultra-rapide et peu démocratique
pour sauver… UBS. Pour empoigner
les problèmes, souvent réels, évoqués par M. Ermotti, il
convient tout d’abord de bien les comprendre, ce qui nécessite un
regard sur le passé. Pour ce faire, la stratégie du poisson rouge
– c’est-à-dire l’amnésie – ne suffit pas. Prenons
l’exemple de la croissance et du durcissement des réglementations
bancaires, que M. Ermotti déplore. Il en désigne sans hésiter
le responsable, bien entendu l’Etat et la politique. Il oublie
ainsi que la Suisse a été contrainte de se lancer dans une vague
sans précédent de régulation bancaire, en raison précisément
des catastrophes multiples générées par les banques. A commencer
par la situation de quasi-cessation de paiements d’UBS en 2008,
mais aussi et surtout à cause de l’incitation à la soustraction
et à la fraude fiscales, pratiquée de manière industrielle
pendant des décennies. Sans oublier le cocktail explosif induit par
la mauvaise gestion du personnel et de la sécurité informatique.
Et, last but not least, la politique de rémunération
totalement outrancière, qui a conduit à l’acceptation compréhensible
de l’initiative Minder. Franchement,
l’Etat se passerait bien de consacrer d’énormes ressources à
la surveillance des banques. Mais l’expérience des dix dernières
années montre qu’il est impossible de miser sur la confiance et
l’autorégulation. Les banques sont capables de répéter en 2009
les erreurs coupables de 2007, même une fois que celles-ci ont été
rendues publiques. La discussion sera nettement plus constructive
lorsqu’elles auront quitté le mode mnésique du poisson rouge et
celui comportemental du piranha. S’agissant de
l’isolement croissant de la Suisse, les craintes de M. Ermotti
sont parfaitement justifiées. Il a raison: les citoyens devront
revoter pour dire s’ils préfèrent appliquer aux Européens les
contingents prévus par l’article constitutionnel de l’UDC ou
sauver les accords bilatéraux. Mais sur ce point également, pour
éviter de répéter les erreurs passées, il est impératif de
comprendre comment ce texte néfaste a été accepté. Or, il est
principalement le produit d’un parti politique, l’UDC, que les
banques n’ont cessé de soutenir, enthousiasmées par la
politique ultralibérale prônée par MM. Blocher et consorts.
Il est également le fruit d’une rhétorique nationaliste
largement attisée par les banques, pour ralentir l’agonie du
secret bancaire, présenté comme «une valeur humaniste menacée
par le reste du monde». Enfin, si la Suisse n’a pas accès au
marché européen des services financiers, c’est avant tout parce
que, pendant des années, les banques se sont opposées à l’intégration
de ce domaine dans les accords bilatéraux, par crainte d’une
limitation du secret bancaire. Enfin, ce sont également les
banquiers qui ont misé sur le mauvais cheval en préconisant
l’impôt libératoire à la source (Rubik), alors que certaines
forces, dont le PSS, avertissaient depuis longtemps que l’échange
automatique d’informations serait le seul standard international
reconnu. Cette tentative de diversion a fait perdre un temps précieux
à la Suisse qui, le dos au mur, n’a plus pu obtenir l’accès au
marché européen en contrepartie de l’échange automatique
d’informations. Le problème
crucial de l’isolement de la Suisse ne se résoudra pas sans
affronter les forces politiques qui le préconisent. La plus
importante contribution que pourrait apporter M. Ermotti à ce
combat vital consisterait à stopper tout soutien à l’UDC, direct
ou indirect. En particulier, rien ne l’empêche de dénoncer le
nationalisme, au lieu de l’alimenter en répétant dans son texte
le vieux poncif affirmant que les autres pays sont peu performants. Les conseils
fiscaux de M. Ermotti dénotent eux aussi une déficience dans la
perception des temporalités. Face au choc conjoncturel déclenché
par la BNS, la baisse de l’imposition du bénéfice des
entreprises ne sert à rien, car une entreprise en difficulté ne
fait pas de bénéfice et ne paie de ce fait pas d’impôt. M. Ermotti
est bien placé pour le savoir, puisque UBS ne paie plus
d’impôt sur le bénéfice à la Ville de Zurich, en raison de
l’ampleur des pertes accumulées par cet établissement depuis
sept ans. En outre,
l’expérience de ces dix dernières années montre le danger
majeur que représente l’insuffisance des ressources fiscales: la
crise de la dette en Europe n’est pas seulement la conséquence du
sauvetage des banques par les Etats. Elle s’explique aussi par une
politique fiscale combinant négligence et cadeaux clientélistes. Bref, je
remercie M. Ermotti pour sa contribution au débat et je me permets
de lui donner, à mon tour, un petit conseil: si UBS remplaçait la
logique de maximisation du profit à court terme par celle de la
responsabilité à long terme, son établissement, le reste de la
place financière et le pays auraient tout à y gagner.
|
|
Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |