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Article paru dans le Tages-Anzeiger le 16.8.2014 (Traduction )
Le Français est bien davantage qu'une langue Renoncer à l'enseignement précoce du français dans le canton de Thurgovie que vit favorise une monoculture Suisse alémanique Ecolier à Moudon, j'ai appris mes premiers mots d'allemand en cinquième année (=7ème harmos). C'était en 1983, et le succès était tout relatif. Pour être honnête, si je n'avais pas ensuite entrepris des études à Berne, j'aurais difficilement pu rédiger cet article en allemand. 30 ans plus tard, mes enfants apprennent déjà en troisième année leurs premiers mots d'allemand et profitent d'une méthode d'enseignement bien meilleure. Après un ou deux ans, ils comprennent les premières phrases. Leur prononciation en bon allemand est déjà plus élégante que la mienne aujourd'hui. Mieux encore : grâce à des maîtresses motivées et à une méthode adéquate, ils ont du plaisir à apprendre. D'une génération à l'autre, le progrès est donc possible. Malheureusement, il faut constater que la roue de l'histoire peut aussi tourner dans l'autre sens. Le Grand Conseil thurgovien vient d'en apporter la preuve en décidant que les enfants ne commenceraient l'apprentissage du français qu'en septième année, à l'âge de 12 ou 13 (=9ème Harmos). C'est une décision erronée sur le plan pédagogique, grave sur le plan institutionnel et restrictive sur le plan culturel. Préparer son propre déclin Au plan pédagogique d'abord : toutes les expériences montrent que le jeune cerveau est plus souple et apprend mieux les langues. En particulier, il est important de débuter avant la puberté. Évidemment, il faut une approche ludique. Si l'institution scolaire se sent dépassée par cet exercice, il faut lui donner les moyens nécessaires au lieu de réduire les ambitions au fur et à mesure de la mise en œuvre des programmes d'économie. Une société moderne doit investir dans la formation, sans quoi elle prépare son propre déclin. Affirmer que les enfants sont dépassés pour justifier le manque d'ambition de l'école est de l'hypocrisie, de la lâcheté et le signe d'un manque de confiance dans la jeunesse. Si quelqu'un dépassé, ce sont bien les politiciens qui prennent ce type de décision. Au plan institutionnel ensuite : le respect et la prise en compte des minorités linguistiques est indispensable pour que la démocratie puisse fonctionner dans un État fédéral multilingue. Chaque élève doit apprendre une seconde langue nationale. Chaque citoyenne et chaque citoyen devrait avoir une compréhension minimum pour les acteurs politiques des autres régions linguistiques. Malheureusement, je constate qu'au sein même des institutions fédérales, je dois de plus en plus souvent parler en allemand, car de nombreux collègues suisses alémaniques ne me comprendraient pas sinon. Les nombreux conflits ethniques qui font actuellement rage autour du globe montrent ce qui se passe si l'on ne soigne pas les fondements de la compréhension mutuelle. Enfin, au plan culturel : la langue est bien plus qu'un moyen de communication. Chaque langue implique une façon de penser et possède un arrière-plan culturel qui lui est propre. Grâce aux connaissances des langues étrangères, chaque être humain peut progressivement accéder vers la connaissance d'une autre culture. C'est un grand enrichissement. Et surtout, c'est une incitation à se remettre en question et interroger le monde dans lequel on vit. L'isolement par le moyen de la langue. À vrai dire, je n'arrive pas à me débarrasser d'un soupçon: avec son combat contre l'enseignement précoce du français, l'UDC poursuit un agenda caché. Il s'agit de faire de la Suisse une monoculture Suisse alémanique et de consolider l'isolation du pays. On tolère encore l'anglais parce qu'il est utile sur le plan économique, et parce que cette langue est considérée comme moins subversives que les langues latines. On observera au passage que l'UDC ne recule devant aucune contradiction : la même semaine, elle combat avec virulence la prééminence du droit international, mais fait en sorte qu'en Suisse, c'est en anglais que l'on devra communiquer entre les communautés linguistiques. L'intérêt national exige de contrer ces évolutions rétrogrades. La décision thurgovienne est contraire à la Constitution fédérale, au concordat scolaire et à la Loi fédérale sur les langues. Le Conseil fédéral et le parlement doive intervenir. À moins qu'il ne se trouve des parents thurgoviens qui décident de se battre devant le tribunal fédéral afin d'obtenir le droit pour leur enfant d'apprendre une deuxième langue nationale en cinquième année. Ils pourraient gagner et rendre un grand service au pays : la formation est un droit fondamental.
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