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Hebdo 28.11.2013 Initiative UDC "contre l'immigration de masse": Feu d'artifice ou véritable bombe ? Au fil des ans, la trame qui forme une bonne initiative populiste est devenue apparente. Tout d’abord, elle stigmatise un groupe de population. En outre, elle se greffe sur un débat plus émotionnel que politique. Enfin, elle ne cherche surtout pas l’efficacité et ne produit aucun changement réel en cas d’acceptation. Ainsi, d’une part, le filon peut continuer à être exploité quel que soit le résultat. D’autre part, aucune conséquence négative ne peut être imputée à ses auteurs si elle est courronnée de succès. D’habitude, l’UDC maîtrise parfaitement ce type d’exercice. Dans le genre, l’initiative « contre les minarets » fut exemplaire. Elle partait d’un non-problème et pouvait donc apporter sans risque une non-solution aux dangers qu’elle suggérait. Toute autre est l’initiative contre l’immigration de masse sur laquelle le peuple se prononcera le 9 février. Non seulement, elle touche à des questions cruciales, mais de surcroît son approbation produirait des effets rapides et durables. En stipulant que « la Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers », cette initiative entend mettre fin à la libre circulation des personnes avec l'Union européenne. Concrètement, elle prévoit la réintroduction unilatérale d'un système de contingents, tout en précisant qu’« aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu ». Pour s'assurer la mise en œuvre intégrale de cette rupture, l'UDC a prévu deux dispositions transitoires drastiques: "Les traités internationaux contraires à l’art. 121a doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans à compter de l’acceptation dudit article par le peuple et les cantons." " Si les lois d’application afférentes ne sont pas entrées en vigueur dans les trois ans à compter de l’acceptation de l’art. 121a par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral édicte provisoirement les dispositions d’application nécessaires par voie d’ordonnance." Quelles seraient les conséquences de ces dispositions constitutionnelles? En apparence, l'initiative semble vouloir se contenter de renégocier nos contrats avec l’Union. Mais comme la libre circulation des personnes constitue l'un des piliers fondamentaux de l'intégration européenne, une telle démarche est vouée à l'enlisement. Jamais nos partenaires n'accepteront de maintenir l'édifice bilatéral avec une Suisse prospère si celle-ci limite l’accès de leurs ressortissants à son territoire. C’est donc une négociation impossible que l’UDC veut imposer au Conseil fédéral. Circonstance aggravante, la démarche fixe un délai au terme duquel le Conseil fédéral doit mettre en œuvre unilatéralement le système de contingents par ordonnance, si le Parlement ne l'a pas déjà fait auparavant. En clair, non seulement l’initiative de l’UDC impose une négociation dépourvue de sens, mais en plus elle clôt le débat après trois ans, décrète la rupture, et donc la résiliation rapide des acords bilatéraux, même si aucune solution de remplacement n’est en train de voir le jour. En conséquence, le 9 février, les populistes et la Suisse jouent gros. L'impact d'un divorce - probablement complet - d'avec l'Union serait massif, augmentant l'incertitude dans tous les secteurs d'activités. Quant aux conséquences sociales, elles seraient dévastatrices, la chute des accords bilatéraux entrainant formellement la fin des mesures accompagnant la libre circulation des personnes. C'est d’ailleurs peut-être le calcul de l'aile économique de l'UDC : casser les contrats actuels et les protections qui leur sont adossées pour laisser jouer à terme le seul dumping salarial. L’initiative anti minarets a interdit des tours que personne ne voulait construire. Par contre, celle contre l’immigration de masse organise la destruction de la Maison suisse. Au lieu de sa stratégie habituelle du feu d'artifice bruyant, clinquant, éphémère et inutile, l’UDC a cette fois placé au cœur du pays une véritable bombe, dont chacun ferait bien d’entendre le tic tac redoutable.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |