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25.05.2012 - Le temps Un plan audacieux pour sortir gagnant avec l’Europe Par Roger Nordmann La Suisse s’est mise dans une impasse. Elle peut bien tenter de gagner encore un peu de temps, cela n’y changera bien. Mettons tout sur la table et changeons de paradigmes. Proposons une alliance à l’Union européenne dans le cadre des bilatérales III. Les deux parties ont à gagner de cette sortie par le haut L’hébergement d’argent non déclaré met la Suisse dans une situation intenable. Malgré leur attachement au secret bancaire à l’ancienne, les acteurs de la place financière suisse s’en rendent progressivement compte. Si cette prise de conscience n’est malheureusement guère le reflet d’une conviction philosophique, elle traduit en revanche un réalisme froid qui lui confère une certaine solidité. Les risques encourus par les instituts bancaires sont en effet devenus tout simplement excessifs: amendes, procédures pénales, restriction d’accès au marché, coûts administratifs, voire disparition pure et simple, comme dans le cas de la banque Wegelin. A ce jour, la ligne de défense de la Suisse a toujours consisté à repousser le plus longtemps le moment du changement. A chaque étape, notre pays faisait les concessions unilatérales au dernier moment. La reprise de l’article 26 de la convention OCDE, les révisions multiples des accords de double imposition, les divers accords US et les accords sur l’impôt libératoire (Rubik) ont un point commun: ils se sont matérialisés parce que la Suisse se trouvait dos au mur. Malgré les dénégations du Conseil fédéral, ce mouvement entamé depuis une bonne trentaine d’années va se poursuivre. Dans un contexte de globalisation des marchés financiers et de crise, les Etats sont en effet contraints de se donner les moyens d’encaisser les impôts. Subissant l’austérité de plein fouet, l’opinion publique européenne n’accepte plus la délinquance fiscale. Sans surprise, les prochaines étapes sont déjà perceptibles: cacher de l’argent non déclaré va devenir un acte de blanchiment aux yeux des standards internationaux, l’échange automatique d’information s’étend progressivement comme le standard européen, les Etats-Unis introduisent la norme Fatca, etc. Si l’attitude renâclante de la Suisse permettra peut-être de gagner un peu d’argent sur les fonds non déclarés pendant quelques années encore, elle comporte trois inconvénients majeurs: premièrement, elle maintient plus longtemps l’exposition aux risques inhérents à ce commerce douteux. Deuzio, en attendant toujours d’être acculée, sans anticiper, la Suisse ne peut rien négocier en échange de ses concessions. Tertio, cette attitude contribue à empoisonner encore davantage nos relations avec l’Union européenne, spécialement lorsque la Suisse joue les Etats membres de l’UE les uns contre les autres. Or justement, on rappellera ici l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations bilatérales. L’Union n’accepte le développement du bilatéralisme que si la Suisse s’engage, pour l’avenir, à reprendre intégralement le droit européen du domaine concerné. Cette ligne ayant été imposée aux nouveaux Etats membres de l’UE, Bruxelles ne peut que difficilement s’en écarter pour des négociations avec un Etat tiers. Le Conseil fédéral estime que cette exigence de reprise complète et automatique n’est pas compatible avec la souveraineté suisse. Il a donc proposé un montage institutionnel sui generis qui vient d’être sèchement recalé par l’ambassadeur de l’UE en Suisse. On observera au passage la cruelle ironie de la situation: après le non à l’EEE d’il y a vingt ans, la Suisse a lancé les bilatérales pour sauvegarder sa souveraineté. Aujourd’hui, elle se retrouve confrontée à la nécessité de sacrifier cette souveraineté pour sauver les bilatérales. A mon sens, la Suisse n’a qu’une manière de se dépêtrer de cette situation: trancher le nœud gordien. A cet effet, la Suisse devrait proposer à l’Union européenne un accord fiscal global dans le cadre des bilatérales III. Outre la mise en conformité de l’imposition des entreprises, inéluctable, la Suisse proposerait l’application pleine et entière de la directive sur la fiscalité de l’épargne, laquelle prévoit l’échange automatique d’information. A cela s’ajouterait un dispositif forfaitaire de régulation du passé, inspiré de Rubik, mais unifié et valable pour toute l’Europe. En contrepartie, la Suisse pourrait obtenir non seulement un accès complet au marché européen des services financiers, mais aussi le déblocage du reste des bilatérales III. Une telle offre serait en effet extrêmement attrayante pour l’Union, car elle permettrait de surmonter les blocages internes qui empêchent de renforcer la directive sur la fiscalité de l’épargne. L’attitude de la Suisse est actuellement le principal argument des opposants à cette révision. Outre le cash obtenu dans le cadre du dispositif de régulation du passé, l’UE pourrait donc enfin combler les nombreuses lacunes de cette directive et lutter ainsi plus efficacement contre la fraude fiscale. L’attrait est tel que la Suisse pourrait probablement obtenir en contrepartie un arrangement institutionnel acceptable. Il s’agirait certes d’un renversement des paradigmes, puisque la Suisse s’allierait avec les institutions de Bruxelles au lieu de miser sur des alliances séparées avec certains Etats membres. Cette nouvelle stratégie offre la perspective précieuse d’une pacification de nos rapports avec les Européens. Ce serait un soulagement majeur pour notre pays, au moment où la résolution du conflit bancaire avec les Etats-Unis se heurte au comportement arbitraire, pour ne pas dire impérialiste, de ces derniers.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |