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Roger Nordmann

Conseiller national

Parti socialiste vaudois / lausannois

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Article 16.8.2011 www.journal21.ch 

Dévaluer le franc, puis défendre durablement un cours raisonnable

Après la création de l’euro en 1999, sa valeur a commencé par monter jusqu’à atteindre sfr.  1,68  en 2007. Pour l’industrie d’exportation et le tourisme suisse, cette situation était très confortable. Contrepartie logique, nous remarquions tous, lors de nos voyages dans les pays voisins, que la vie y était devenue presque aussi chère qu’en Suisse. Aujourd’hui, la situation s’est dramatiquement inversée. Avec un euro autour de sfr. 1,10, les produits suisses sont beaucoup trop chers pour se vendre à nos partenaires commerciaux naturels que sont les européens,  . En concurrence directe avec les entreprises européennes, les secteurs du tourisme, de l’industrie et de l’artisanat sont confrontés à une situation catastrophique. Si le niveau actuel du franc se maintient, il précipitera la Suisse dans une profonde récession, avec un accroissement du chômage et éventuellement une régression des salaires qui minerait la demande intérieure.

En termes économiques et sociaux, il serait irresponsable que la Suisse attende les bras croisés sans prendre de mesure. Il est en effet improbable que l’euro remonte de lui-même, dès lors que la Banque centrale européenne devra mener une politique de rachat de la dette publique, et donc augmenter la masse monétaire. Et attendre que la récession suisse s’accentue au point de faire descendre le franc suisse ne constitue pas une option. Pour de nombreuses entreprises, en exagérant à peine le trait, cela reviendrait à faire baisser la fièvre par la mort du patient.

Le danger n’est pas que conjoncturel :  si le phénomène dure plus d’un an, on risque une sévère désindustrialisation du pays. En effet, il n’est pas réaliste de faire des gains de productivité de 30% en moyenne en l’espace de deux ans pour compenser la hausse du franc. Et la stratégie de compression des marges peut fonctionner quelque mois, mais pas des années.

Il faut donc absolument faire baisser le franc, puis le stabiliser durablement à un niveau raisonnable en terme de parité de pouvoir d’achat, quelque part autour de 1,3 ou 1,4 fr. pour un euro. Avant de déterminer comment y parvenir, il s’agit de bien analyser la situation. Historiquement, ce n’est pas la première fois que le franc suisse sert de valeur refuge. Dans ce types de phases, il y a une constante :  les investisseurs détiennent du franc suisse comme valeur refuge, indépendamment de toute considération sur l’état de l’économie en Suisse. C’est une forme de prise d’otage de l’économie suisse.

Au-delà de cette constance historique, quelques éléments fondamentaux ont cependant changé :

  • Depuis la création de l’euro, la Suisse ne bénéficie plus de l’évolution divergente des monnaies européennes : lorsque la lire s’effondrait, il nous restait le Deutschmark. Cette époque est révolue.

  • Vu la différence de taille, le rapport entre l’euro et le franc suisse ressemble à un système de vases communiquants entre une piscine et une éprouvette : une légère pression à la baisse sur le niveau de la piscine fait beaucoup monter le niveau d’eau dans l’éprouvette. On peut donc d’attendre à la persistance de mouvements de yo-yo peu favorables à l’établissement d’échange commerciaux durables.

  • Le monde sera occupé pour plusieurs années à éponger les dettes de la bulle spéculative qui a éclaté en 2007-2008. L’addiction US à la dette plombe durablement la conjoncture. L’époque des cours boursiers perpétuellement ascendant et des profits abyssaux du secteur financier  me parait révolue, en Suisse comme à l’étranger. La confiance aveugle envers les marchés financiers est durablement ébranlée.

  • Avec la libre circulation des personnes et les autres accords bilatéraux, notre intégration à l’économie européenne s’est encore renforcée. Les termes de l’échange commercial avec l’Union européenne revêtent donc un rôle encore plus important qu’autrefois. Les quelques 120 accords qui lient désormais la Suisse à l’Union européenne ont une portée politique substantielle.

  • Un contrôle des capitaux entre la Suisse et l’Europe serait désormais très difficile à mettre en œuvre vu l’intensité de nos échanges.

  • Il n’est pas sûr qu’il soit possible d’imposer  des taux d’intérêts négatifs dans la pratique : cet instrument était plus aisé à l’époque où les francs suisses étaient détenus par les étrangers dans des banques en Suisse sous le régime de contrôle des capitaux.

Quelle sont les conséquences de ces évolutions ?  Elle me paraissent de deux ordres. Premièrement, le secteur financier perdra en importance relative. Par opposition, « l’économie réelle » (définie ici comme tous les autres secteurs)  gagnera en importance pour notre pays. Pour la marche de l’économie, le cours de change avec nos principaux partenaires est donc un facteur encore plus crucial qu’autrefois. Deuxièmement, les mesures homéopathiques, ponctuelles ou verbales n’auront aucune influence face à ces masses et à ces forces, d’autant plus qu’il n’y a plus de marge de manœuvre pour baisser les taux d’intérêt.

Pour ramener le cours à un niveau plus raisonnable, il n’y a donc pas mille solutions. Il faut acheter des devises et émettre de grandes quantités des francs suisses. La BNS le fait déjà, mais sans fixer de cours-cible. Malheureusement, cette politique de modération ne suffit pas à protéger durablement le pays et son économie contre la spéculation sur notre monnaie. Pour y parvenir, la BNS devrait fixer précisément un cours de change durable, probablement aux alentours 1 euro = 1.35 sfr, éventuellement avec une petite marge de fluctuation.  Cela revient à proclamer une dévaluation initiale, puis à la défendre bec et ongle, en particulier en mettant autant de francs suisses sur le marché que celui-ci en voudra. Sachant qu’il existe une volonté forte et précise, les acteurs du marché cesseront rapidement de spéculer sur la hausse du franc. Cette nouvelle politique s’inspire du Danemark, qui a fait le choix de lier sa couronne à l’euro. Sa banque centrale ne laisse pas la moindre interstice pour les spéculateurs.

Au final, la défense d’un cours précis pourrait nécessiter bien moins d’émissions d’argent que la politique de « modération» suivie par la BNS à l’heure actuelle. La dévaluation initiale est indéniablement une mesure brutale, mais il n’y aurait aucun sens à figer le cours actuel,  tant il est défavorable pour le pays. Bien entendu, si le franc suisse retournait spontanément jusqu’à 1.35, il ne serait pas nécessaire de procéder à la dévaluation initiale.

Cet adossement du franc suisse à l’euro aboutira à une inflation assez proche de celle prévalant en Europe, dès lors que les deux monnaies sont liées. Vu l’expension monétaire actuelle de l’Euro, une certaine poussée inflationniste est probable. Comme la défense du cours fixe pourrait dans un premier temps nécessiter d’émettre passablement de francs suisses, la question se pose de savoir si l’on risque, en Suisse, une inflation encore supérieure à celle qui prévaudra en Europe. Le risque me paraît limité, dans la mesure où cette masse additionnelle de francs suisses sera détenue à l’étranger comme réserve et ne reviendra que très partiellement en circuler dans l’économie Suisse.  Bien évidement, si l’attrait de l’euro devait ultérieurement remonter et si cette masse de francs suisse revenait circuler dans notre économie, la menace inflationniste se préciserait. Dans ce cas, la BNS devra racheter du franc suisse tant pour contenir l’inflation que pour maintenir le cours du change. Elle le ferait en vendant les énormes réserves de devises accumulées ces derniers mois, ce qui n’est pas problématique. Quant aux taux d’intérêt, un différentiel pourra subsister, comme on le voit à l’intérieur de la zone euro elle-même.

Un avantage accessoire non négligeable d’une stabilité des changes concerne les importations : les importateurs auront plus de peine à maintenir durablement leur gains actuels sur les fluctuations de change. La concurrence jouera mieux.

La question de la Constitutionnalité d’un adossement volontaire à l’euro se pose. La Constitution stipule qu’ « en sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays ».  Tant que notre institut d’émission fait ce choix de manière autonome, sans y être forcé par un accord international ou une décision gouvernementale, son autonomie est sauve. Et il remplit sa mission constitutionnelle. Mais rien n’empêche de Conseil fédéral de signaler clairement son soutien à cette nouvelle politique monétaire, pour augmenter la crédibilité – et donc l’efficacité – de la BNS. La question de la constitutionnalité est de toute manière théorique, car il serait impossible de mener un débat sur une modification constitutionnelle sans déclencher pendant 2 ans une monstrueuse phase de spéculation. Ca échéant, le seul outil praticable serait le droit d’urgence.

Cette nouvelle politique monétaire viserait clairement le soutien aux entreprises de « l’économie réelle ». En contrepartie, ces dernières devront faire tout leur possible pour éviter les licenciements et maintenir le pouvoir d’achat des salariés, en garantissant au moins l’indexation des salaires. 

Bien sûr, cette nouvelle politique monétaire renverse les habitudes. Mais elle n’est que la conséquence logique de notre intégration de facto  à la vie du continent au centre duquel nous vivons : notre économie et notre marché du travail sont profondément imbriqués avec l’Europe. Nous appliquons de plus en plus de règles de droit européen dans tous les domaines, y compris s’agissant des restes du secret bancaire. Il est donc assez logique de stabiliser également notre rapport monétaire avec l’Union.

Pour une petite économie très ouverte, il est très difficile de piloter la conjoncture par le biais de la politique monétaire, parce que la santé de l’économie dépend presque davantage du commerce extérieur. Dans le cas de la Suisse, le statut de monnaie de réserve rend l’exercice encore plus difficile, parce qu’il provoque d’énormes oscillation du cours de change, lesquelles ont un effet majeur sur la conjoncture. Autant dès lors pratiquer un change fixe, comme le Danemark, pour tenir compte de cette imbrication. Autrement dit, la Suisse doit faire le choix de l’économie réelle et renoncer la stratégie ruineuse de monnaie de réserve, quoi qu’en pensent certains milieux financiers et nationalistes.

Plus fondamentalement, la Suisse se retrouve face à son destin européen. Elle doit constater que la fiction d’une île de prospérité économique au sein d’un océan de difficultés financières est, en fin de compte, davantage une illusion nationaliste et narcissique qu’une voie praticable. La prochaine question qui se posera sera de nature politique : avec une intégration économique, juridique et monétaire de plus en plus étroite, est-il toujours possible de défendre nos intérêts sans être membre des instances décisionnelles de l’Union européenne ? Poser la question, c’est y répondre !

 

 

 

  

 

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1.04.2017