La Suisse a le choix entre
une sortie passive ou une sortie active et maîtrisée du nucléaire,
estime le conseiller national socialiste Roger Nordmann. A ses yeux,
seul le deuxième scénario est crédible. Il liste les mesures à
prendre pour le concrétiser
En matière d’approvisionnement électrique, la Suisse
est désormais à la croisée des chemins. Selon toute vraisemblance,
le peuple refusera la construction de nouvelles centrales nucléaires
en votation populaire. Dans les faits, la Suisse a donc le choix
entre une sortie passive ou une sortie active et maîtrisée du
nucléaire.
Une sortie passive signifie attendre progressivement que l’on ferme
les centrales nucléaires pour raison d’âge, puis importer du courant
d’origine fossile en grande quantité. Une variante de la sortie
passive consiste à importer du gaz en grande quantité et à le
transformer en Suisse en électricité. Ce scénario «passif» comporte
trois inconvénients majeurs:
1. On risque de repousser à l’extrême limite l’arrêt des centrales
existantes. Or plus ces centrales vieillissent, plus elles
deviennent dangereuses. Les pousser au-delà de 40 ans d’exploitation
accroît massivement le risque pour l’environnement, la santé, mais
aussi pour l’économie. En cas de panne ou d’accident, c’est un pan
entier de l’approvisionnement électrique qui s’effondre brutalement.
Loin de garantir la sécurité de l’approvisionnement, le nucléaire la
menace, comme le montre l’exemple du Japon.
2. Le scénario passif accroît la dépendance aux énergies fossiles,
qui s’épuisent et réchauffent le climat. Cela revient à chasser la
peste par le choléra.
3. Vu la concurrence de plus en plus forte pour accaparer le solde
des réserves fossiles, cette stratégie sera très coûteuse à moyen
terme tout en n’étant pas viable à long terme. Ces dépenses élevées
auront un impact négatif sur la balance commerciale et ne créeront
quasiment pas d’emplois en Suisse.
Une sortie active et maîtrisée du nucléaire exige en revanche de
prendre maintenant les décisions pour débloquer le soutien aux
énergies renouvelables et pour concrétiser les gains d’efficacité.
Pour ne pas retomber dans deux décennies d’indécision et d’inaction,
comme ce fut le cas après Tchernobyl, il faut prendre une décision
de principe et les mesures correspondantes.
L’adoption d’une loi sur la sortie planifiée et structurée du
nucléaire constituera la pierre angulaire de la sortie active du
nucléaire. Ce texte devra poser un cadre clair pour tous les
services publics et les acteurs du marché. Il prévoira à la fois
l’interdiction de nouvelles centrales et la limitation temporelle ou
quantitative de l’exploitation des centrales atomiques actuelles.
Du côté des renouvelables, la principale mesure consiste à
déplafonner le système de rachat à prix coûtant. S’agissant de la
réalisation des gains d’efficacité et de la traque au gaspillage, il
faut en revanche une combinaison de mesures:
1. Assigner un objectif d’efficacité aux entreprises de distribution
électrique. Actuellement, plus ces entreprises vendent de courant,
mieux elles se portent. Un système de bonus-malus devra inverser la
logique. Ces entreprises doivent avoir un intérêt à aider les
consommateurs à économiser.
2. Instaurer un fonds pour l’efficacité électrique, destiné à
soutenir financièrement la modernisation des installations voraces
en énergie, en particulier dans l’artisanat, l’industrie et les
services. Il s’agit par exemple des pompes, des moteurs, des fours,
etc. Ce fonds sera alimenté par un prélèvement d’un centime par KWh
sur le courant produit par les centrales nucléaires. Comme celles-ci
sont largement amorties, ce prélèvement se fera au détriment de la
confortable marge bénéficiaire de leurs exploitants et ne se
répercutera pas sur le prix final.
3. Imposer la production d’électricité dans toutes les grosses
installations de chauffage, au moyen de couplage chaleur-force.
Concrètement, cela signifie que les brûleurs à gaz ou à mazout de
plus d’un MW devront mieux valoriser le combustible en produisant
simultanément de l’électricité et de la chaleur. Moyennant
l’isolation des bâtiments concernés, cela n’augmentera pas la
consommation de combustible.
4. Remplacer les chauffages électriques directs et les boilers
électriques. En période froide, ces installations absorbent
actuellement l’entier de la puissance de Beznau et de Mühleberg.
L’utilisation de ces appareils doit être interdite dans la plupart
des cas dès 2025. Bien entendu, il faut encourager financièrement
les propriétaires à les assainir, grâce au programme
d’assainissement des bâtiments.
5. Renforcer les standards d’efficacité pour les appareils
électriques, comme le Conseil fédéral l’a proposé.
La faisabilité technique d’une sortie du nucléaire par le
développement des renouvelables et l’efficacité est largement
établie (Etudes SAFE, SATW, Infras/TNC, Nowak). L’intérêt économique
d’une telle stratégie est patent: les investissements initiaux sont
certes plus élevés, mais cela se traduit par la création de nombreux
emplois et par une baisse de la facture énergétique à moyen et long
terme. Les KWh les moins chers sont ceux que l’on économise, et l’on
réduit ainsi, structurellement, la facture de gaz, de pétrole et
d’uranium. La Suisse saura-t-elle relever le défi?