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Discours lors de la remise de l'Appel «Accès à la lecture et à l’écriture pour tous! » à la Présidente de la Confédération Mme Doris Leuthard - 6 septembre 2010 Roger Nordmann, Président de la Fédération suisse Lire et Ecrire
Madame la Présidente de la Confédération, Mesdames et Messieurs, chers amis, Pourquoi la Fédération suisse Lire et Ecrire a-t-elle lancé un appel intitulé «Accès à la lecture et à l’écriture pour tous! » ? Eh bien pour une raison toute simple : Lire et écrire ne va pas de soi. Il y a dans notre pays 800 000 personnes qui rencontrent de grosses difficultés de lecture ou d'écriture. On peut disserter longtemps sur les causes de cette situation : certains ne sont pas allés à l'école en Suisse, d'autres ont fait, en Suisse, les mauvaises expériences scolaires, certains savaient plus ou moins lire et écrire en sortant de l'école, mais avec les années ils ont, si vous me passez l'expression, « désappris », par manque de pratique. Mais franchement, plutôt que de s'étonner de cette situation, la vraie question, c'est de savoir comment y remédier, et comment éviter qu’elle ne se perpétue. L'école obligatoire a évidemment une responsabilité importante, dont elle est consciente, même si les résultats ne sont pour l'instant pas toujours à la hauteur de nos attentes : il reste assez surprenant que selon l'étude Pisa, 7 % des élèves sortent de l'école obligatoire avec de grosses lacunes. Focaliser l'attention sur l'école obligatoire est évidemment important, mais cela ne suffit pas, dans la mesure où il y a aujourd’hui dans notre pays des centaines de milliers de personnes adultes en situation d'illettrisme, qui en aucun cas ne retourneront à l'école obligatoire. Cela pose donc la question du soutien et de la formation des personnes en situation d'illettrisme à l'âge adulte, domaine où la Confédération a des responsabilités constitutionnelles. Madame la Présidente de la Confédération, Je connais votre engagement en faveur de la formation continue des adultes. Je sais qu'au cours des années 2008 et 2009, vous vous êtes battue au Conseil fédéral pour qu'enfin se mette en marche l'élaboration d'une Loi fédérale sur la formation continue, comme le veut la Constitution. Votre ténacité n’est donc pas étrangère à ce processus. Le groupe d'experts chargé d’élaborer cette politique tient sa première séance d'audition ce lundi. Je suis donc particulièrement content que, le hasard du système de rotation, ce soit vous qui présidiez la Confédération au moment de remettre cet appel au Conseil fédéral. Je sais qu'il sera en de bonnes mains. Ca tombe bien, parce qu’il y a passablement d’effort à faire. Les institutions et associations membres de la Fédération suisse lire et écrire offrent des cours qui sont suivis, bon an mal an, par environ 1900 personnes chaque année. En 20 ans d'activité, nous avons donc accumulé une expérience qui nous permet aujourd'hui d’identifier clairement quelles sont les composantes indispensables d'une stratégie nationale de lutte contre l’illettrisme. Vous me permettrez de mettre en évidence trois des aspects centraux dont devra tenir compte à notre sens, la nouvelle loi : Premièrement, il s'agit de considérer la lecture et l'écriture comme deux éléments d'un tout formant les compétences de base (en allemand « Grundkompetenzen »). Cette notion inclut le calcul, le raisonnement logique, les rudiments de l'informatique et bien évidemment, pour les allophones, les connaissances de la langue locale. Il faut considérer les compétences de base comme un tout, parce que les lacunes des personnes concernées se trouvent souvent à cheval entre plusieurs compétences de bases. En outre, et peut-être avant tout, ces compétences constituent le prérequis pour toutes les autres activités, telles que l'apprentissage d'un métier, l'exercice de sa citoyenneté, le rôle de parent, l'exercice d'une activité lucrative, etc. etc. Deuxièmement, le rattrapage de l’apprentissage des compétences de base ne se fait pas sur le tas, par osmose. Non, il faut les apprendre dans un processus structuré - en général un cours ou une autre forme d'apprentissage approprié. Dans tous les cas , cela nécessite des ressources pour organiser cet apprentissage, mobiliser les formateurs, organiser la logistique. En outre, et c'est là la différence fondamentale avec l'école, chaque adulte a son propre profil de lacunes à combler. Il faut lui faire suivre un programme individuel, sans quoi il se découragera rapidement, parce qu’il n'y aurait aucun sens à faire un programme standardisé qui forcerait les participants à apprendre une nouvelle fois certaines choses qu'ils connaissent déjà. Enfin, il va sans dire que l'on ne peut pas organiser des formations en matière de compétences de base sans disposer de formateurs et de formatrices spécialisés dans l'enseignement aux publics adultes peu qualifiés. Motiver, coacher un adulte, c’est autre chose que motiver un enfant. Troisièmement, les lacunes en matière de compétences de base, et en particulier l'illettrisme, font l'objet d'un important tabou dans notre société. C'est évidemment le cas auprès des décideurs politiques et économiques, qui n'arrivent même pas à s'imaginer qu'il soit possible dans notre monde d'avoir des lacunes fondamentales de lecture et d'écriture, mais c'est aussi le cas auprès de personnes qui sont professionnellement confrontées à des gens en situation d'illettrisme, mais qui peinent à identifier le problème. Enfin, les personnes en situation d'illettrisme ont elles-mêmes beaucoup de peine à admettre leurs propres difficultés, puis à surmonter le tabou dominant pour se décider de suivre des cours. Au fond, il y a rien de surprenant à cela, plus d'un siècle après l'introduction de l'école obligatoire publique et gratuite : on pensait avoir éradiqué le problème. À tort. Dans ces conditions, il est évident qu'il faut une vaste campagne d'information et de sensibilisation auprès du grand public, mais aussi auprès de tous les intermédiaires qui rencontrent des personnes en situation d'illettrisme, et bien évidemment aussi une campagne directement adressée aux personnes concernées. Car enfin, notre société n'affrontera pas ces difficultés et nous ne renforcerons pas la participation aux formations de rattrapage si nous ne nous donnons pas les moyens d'informer. L'expérience de ces dernières années montre que l'information joue un rôle central pour affronter les grands problèmes de société, comme le montrent par exemple les récents succès en matière de lutte contre le tabagisme ou de réduction contre les accidents de la route. Il faut s’en inspirer. Mme la Présidente de la Confédération, Les 21’240 personnes qui ont signé cet appel que nous vous remettons aujourd'hui espèrent que la Confédération s'engagera davantage dans ce secteur. Pas seulement parce que l’illettrisme coûte 1,1 milliard chaque année à l’économie suisse. Mais surtout parce que l’accès à la lecture et à l’écriture constitue un droit fondamental. Ce n'est pas un hasard si la Constitution fédérale, à son article 19, au chapitre des droits fondamentaux, dit que : «Le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti. » C’est une question de dignité, et nous comptons sur le Conseil pour des progrès rapides. Pour la mise en œuvre de ce droit fondamental, vous pouvez compter sur notre soutien.
6.9.2010
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |