|
Article - 19 janvier 2010 Les dés pipés du 2e pilier Le lobby des caisses de pensions veut nous faire croire qu’une diminution à 6,4% du taux de rendement du deuxième pilier est indispensable en raison de l’allongement de l’espérance de vie de la population. Un peu court: la même explication a déjà servi en 2003 pour justifier leur dernière baisse. Cette stratégie éculée ne sert qu’à augmenter les profits des assurances privées. En apparence, le discours a l’air très raisonnable: «la population vit de plus en plus longtemps. Il faut donc servir une pension pendant un nombre accru d’années. De ce fait, la rente annuelle doit être réduite, en quelque sorte étalée dans le temps». Le premier problème de ce discours, c’est qu’il a déjà été utilisé pour justifier une première adaptation. En 2003 en effet, le Parlement avait déjà décidé de passer le taux de conversion de 7,2% à 6,8%, ceci de manière progressive entre 2005 et 2014. Cette correction a justement été décidée pour tenir compte de l’allongement présumé de l’espérance de vie. Ce problème est maintenant résolu, car l’augmentation de l’espérance de vie n’est pas rapide au point de nécessiter une seconde correction quasi simultanée. Il n’y donc objectivement aucune raison de vouloir baisser ce taux à 6,4% d’ici 2015. En revanche, il y a de bonnes raisons de ne pas y procéder: la première correction signifie déjà une baisse des rentes d’environ 5%. Si le oui l’emporte lors du référendum du 7 mars 2010, la seconde correction entrera en vigueur, ce qui réduira le montant des rentes d’environ 6%. Étant donné que les deux réductions sont cumulatives, les rentes sont coupées au total de 11%! On rappellera ici à l’intention de la majorité bourgeoise du Parlement que la LPP n’est pas un gadget, mais l’une des deux composantes fondamentales du revenu des travailleuses et travailleurs retraité-e-s, à côté de l’AVS. Le second problème de ce discours apparaît lorsqu’on se pose une question toute simple: «si cet argent n’est pas versé aux retraité-e-s parce que les rentes sont réduites, où va-t-il?». En toute logique, on pourrait s’attendre à ce que l’économie ainsi faite serve à renforcer les réserves des caisses de pension. Que cet argent apporte des intérêts qui bénéficieront indirectement aux assuré-e-s. Et que finalement, si l’ajustement du taux de conversion à 6,4% se révélait après coup trop brutal, les caisses pourraient puiser dans leurs réserves pour ajuster les rentes à la hausse. Malheureusement, ce raisonnement ne vaut que pour la moitié des assuré-e-s, c’est-à-dire celles et ceux qui ont la chance d’être assuré-e-s auprès d’une caisse de pension totalement indépendante des compagnies privées d’assurance. Pour l’autre moitié des assuré-e-s, ce raisonnement n’est pas valable. En effet, cette seconde moitié des travailleuses et travailleurs est assurée dans des fondations dites «collectives». Ces fondations collectives sont des espèces de sociétés-écrans -des paravents -gérées directement et intégralement par des compagnies d’assurance privées à but lucratif. Dans ce modèle, les compagnies d’assurance sont autorisées à prélever un dixième du rendement brut ainsi que des frais de gestion astronomiques (700 francs par an et par assuré-e). De surcroît, elles peuvent se contenter de rémunérer les comptes des assuré-e-s au taux minimum de 2%. Dans ces circonstances, tout ce qui n’est pas crédité sur le compte des assuré-e-s ou qui ne leur est pas versé comme rente finira tôt ou tard dans la poche des actionnaires et des managers de ces entreprises. Ainsi, dans ces fondations collectives, la seconde baisse du taux de conversion qui nous est proposée le 7 mars a un effet tout simple: celui de transférer davantage d’argent des travailleuses et travailleurs assuré-e-s dans les poches des managers et des actionnaires des caisses de pensions. On observera au passage que les intermédiaires financiers se remplissent aussi les poches grâce aux juteuses commissions encaissées pour placer les actifs des caisses. Cerise sur le gâteau, le montant exact de ces rémunérations prélevées au passage n’est pas connu, puisque seul le rendement net figure dans les comptes des caisses. Un refus de cette révision de la LPP le 7 mars 2010 permettra dans un premier temps d’éviter une aggravation de l’hémorragie d’argent en direction des compagnies privées d’assurance-vie. Si le non l’emporte assez nettement, il pourrait nous aider à corriger les défauts structurels de la LPP. Le groupe socialiste a déposé de nombreuses interventions dans ce sens au Parlement fédéral. Une initiative déposée par le soussigné vise en particulier à traiter le mal à la racine, en obligeant toutes les caisses de pensions à être véritablement indépendantes des compagnies d’assurance-vie. Autrement dit, à faire disparaître le modèle des caisses de pensions «écrans». Depuis 1972, le peuple ne s’est plus prononcé sur les questions de deuxième pilier. C’est donc une occasion à ne pas manquer de faire prévaloir l’intérêt général! • A consulter absolument: www.vol-des-rentes.ch . Cet excellent site mis en ligne par le syndicat Unia présente notamment un calculateur de rente comparant «avant» et «après», ainsi que des argumentaires détaillés. • L’analyse des comptes LPP 2007 par le conseiller national Rudolf Rechsteiner (PS, BS): www.pssuisse.ch > Conférence de presse du 5 février 2009. • Initiative parlementaire Nordmann (07.401), «Les bons comptes font les bons amis»: www.roger-nordmann.ch/articles/2008.06.18_letemps.html et http://www.parlament.ch/F/Suche/Pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20070401
|
|
Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |