Roger Nordmann
Conseiller national
Parti socialiste vaudois / lausannois
(archive provisoire)
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Article - Le Temps 16.6.2008
Depuis plusieurs années, le débat politique fait rage autour du taux d'intérêt minimum sur les avoirs du deuxième pilier et du taux de conversion du capital en rente. Pour bien en comprendre les prémices, il est nécessaire de distinguer préalablement deux catégories de fondations LPP. Dans la première catégorie, il y a les fondations réellement indépendantes, comme les caisses de grandes entreprises et les caisses interprofessionnelles, souvent gérées par les organisations patronales. Celles-ci gèrent les avoirs, grosso modo, de deux tiers des assurés. Dans la seconde catégorie, il y a les fondations dites «collectives» qui sont liées par un contrat global à une compagnie privée d'assurance vie à but lucratif. Cette seconde catégorie de fondations LPP regroupe environ un tiers des assurés.
Les deux catégories se distinguent fondamentalement dans leur structure. Schématiquement, les fondations indépendantes constituent un réceptacle étanche, au contraire des fondations collectives.
Dans le cas d'une fondation réellement indépendante, l'argent entrant dans la fondation (c'est-à-dire les cotisations, les rachats d'années et le rendement de la fortune) ne peut en ressortir qu'au profit des assurés, sous la forme de rente et de prestation en capital, ou pour des frais de gestion bien identifiés. Si le taux de conversion ou le taux d'intérêt sont fixés trop bas, les réserves générales de la caisse augmentent. Ces réserves, propriété de la communauté des assurés, peuvent notamment servir à indexer ultérieurement les rentes ou à assurer une rémunération élevée des comptes malgré une mauvaise année boursière. La question du taux de rémunération des comptes est alors une question avant tout technique: il s'agit d'accumuler suffisamment de réserves, mais pas trop. Pour fixer le taux, il faut se baser sur le rendement pluriannuel des placements. Quant au taux de conversion, il s'agit de le fixer correctement de manière à ne pas léser une génération au profit d'une autre, selon les règles actuarielles.
Dans le cas des fondations collectives, la structure est complètement différente. Le contrat global liant la fondation collective LPP à la compagnie d'assurance vie prévoit le système suivant:
L'argent entrant (cotisations et les rachats d'années) est crédité sur le compte de chaque assuré, puis immédiatement transféré à la compagnie d'assurance vie.
L'assurance vie place cet argent et garde pour elle le rendement.
En contrepartie, chaque année, l'assurance vie crédite les comptes des assurés de la fondation d'un intérêt. Cet intérêt doit être égal ou supérieur au taux minimum légal (2,75% en 2008, et l'OFAS propose 2% en 2009).
Au moment où l'assuré part à la retraite, l'assurance vie lui verse une rente. Son montant correspond à l'avoir de l'assuré multiplié par le taux de conversion (7,1% en 2008, avec une baisse progressive jusqu'à 6,8% en 2014).
En raison de cette structure, les compagnies d'assurance vie ont un intérêt évident à ce que la Confédération fixe les taux de rémunération et de conversion au niveau le plus bas possible. En effet, plus l'écart entre le taux minimum légal et le rendement effectif des marchés financiers est élevé, plus les compagnies d'assurances font du bénéfice. Le même raisonnement vaut pour le taux de conversion: un taux de conversion excessivement bas signifie que les compagnies d'assurances peuvent, à la mort de l'assuré, garder en moyenne comme bénéfice l'équivalent de plusieurs mois ou années de rentes.
Lorsqu'à la suite des turbulences financières temporaires de 2001-2002, les assurances vie ont obtenu du Conseil fédéral une baisse durable du taux d'intérêt minimum, le Parlement a jugé la situation insupportable. Il a donc créé une clause de protection prévoyant que 90% des revenus que les compagnies d'assurances génèrent dans la LPP doivent revenir aux assurés (règle dite de la «legal quote»). Dans l'esprit du législateur - tous partis politiques confondus -, la règle signifiait que les compagnies pourraient garder 10% des revenus nets après paiement des rentes. Sous l'influence du lobby des assurances, le Conseil fédéral a interprété cette règle de protection de manière détournée, en précisant que les compagnies d'assurances pouvaient garder définitivement 10% des entrées brutes de la LPP, c'est-à-dire 10% des cotisations et du rendement de la fortune! Sur cette base tronquée, la LPP est une poule aux œufs d'or pour les compagnies d'assurances. Le Conseil fédéral a reconnu que le rendement des fonds propres des divisions LPP des compagnies d'assurance vie oscillait entre 13 et 18% entre 2003 et 2006. Corollaire, les assurés sont chaque année spoliés d'un montant se chiffrant en centaines de millions.
Pour ma part, j'ai déposé une initiative parlementaire (No de dossier 07.401) pour imposer une correction structurelle. Il s'agit d'obliger progressivement toutes les fondations LPP à être réellement indépendantes et à posséder elles-mêmes les actifs nécessaires aux couvertures des rentes. Autrement dit, de faire en sorte que l'entier du secteur de la LPP se mette à fonctionner sur l'exemple des fondations d'entreprise et interprofessionnelles, c'est-à-dire avec le modèle du réceptacle étanche. Cela aurait pour effet de supprimer le système des contrats globaux entre fondations LPP et les compagnies d'assurance vie, et donc de rendre superflue la règle de la «legal quote» et les querelles d'interprétation qu'elle suscite. De plus, la question des taux d'intérêt et des taux minimaux serait largement dépolitisée.
D'une certaine manière, les PME et leurs employés, principales victimes des fondations collectives, ont commencé à «voter avec les pieds» en transférant en masse leur LPP auprès de fondations interprofessionnelles réellement indépendantes. Mais le transfert demeure complexe, et l'on ne peut pas demander à chaque patron de PME de maîtriser tous les détails de la question. Il appartient donc à mon sens au législateur d'apporter une correction structurelle, en supprimant le piège que représente le système des fondations collectives.
Le Temps, 18.6.08
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