Le 1er juin, nous aurons à nous prononcer sur l'initiative
populaire « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale
», lancée par des milieux proches de l'UDC et soutenue par cette
dernière ainsi que par l’ASIN.
Pour mémoire, on rappellera que cette initiative veut interdire
au Conseil fédéral de participer aux campagnes de votation, à
l'exception d'une « une brève et unique information à la population
par le chef du département compétent » et de la traditionnelle
brochure d'information. A part une intervention initiale par le chef
du département concerné, cette initiative interdirait donc aux
Conseillers fédéraux d'intervenir durant une campagne. Le Conseil
fédéral n'aurait même plus la possibilité d'apporter une précision
technique ni même évidemment celle de défendre son opinion, par
exemple dans un débat télévisé. Cette initiative, affublée avec
raison du surnom de « muselière », est perverse à plus d'un titre.
Premièrement, l'exercice de la démocratie semi-directe est très
exigeant : les questions posées à la population sont complexes, et
il n'est pas facile de saisir les tenants et aboutissants d'une
proposition de loi ou d'article constitutionnel soumis au vote.
Interdire au Conseil fédéral de s'exprimer pendant la campagne
rendrait la tâche des citoyennes et des citoyens encore plus ardue
lorsque il s'agit d'appréhender la complexité des sujets sur
lesquels ils ont à se prononcer. Du reste, nombreux sont les
abstentionnistes à justifier leur attitude en indiquant qu'ils se
sentent dépassés par la complexité des questions. On risque donc
d'aggraver l'abstentionnisme en privant les électeurs d'une source
d'information qu’ils considèrent à juste titre comme relativement
fiable.
Deuxièmement, réduire le Conseil fédéral au silence
signifierait donner plus d'espace aux autres intervenants de la
campagne. Les premiers à occuper ce vide seraient les groupes de
pressions dotés de puissants moyens financiers : en l'absence
d'information par le Conseil fédéral, beaucoup de gens
s'orienteraient encore davantage sur la publicité payante. Cela
augmenterait donc l'influence déjà excessive de l'argent sur la
démocratie. Théoriquement, les médias pourraient faire contrepoids ;
toutefois, leur dépendance économique envers les annonceurs les met
dans une position difficile et limite en réalité leur marge de
manœuvre, si tant est qu'ils veulent l’utiliser. Et les médias sont
eux-mêmes la cible d'un important travail de relations publiques de
la part des lobbys.
Troisièmement, cette initiative relève d'une conception selon
laquelle les autorités seraient systématiquement, et par nature, en
opposition par rapport au « peuple ». Cette conception part de
l'idée que « le peuple » - vu comme une espèce d'allégorie homogène
- se ferait systématiquement berner par les autorités. Dans ce
schéma de pensée, on soupçonne les autorités de ne poursuivre que
leurs propres intérêts et de n'avoir jamais à l'œil l'intérêt
général. On nie systématiquement la légitimité démocratique des
autorités élues. C'est typiquement le genre de discours que l'on
retrouve d'ailleurs dans l'autre votation du week-end, sur les
naturalisations démocratiques : on ne veut pas faire confiance aux
autorités pour juger du dossier des naturalisations, et l'on préfère
bafouer les droits fondamentaux. C'est aussi le même discours tenu
par l'UDC contre Mme Widmer-Schlumpf : on conteste la légitimité
d'une élection démocratique du Parlement, lui-même élu au suffrage
universel selon les règles constitutionnelles en vigueur.
Cette conception erronée de la démocratie prétend établir une
commande directe et permanente du peuple vers les autorités. Elle
nie la possibilité que le peuple se donne au travers des règles
constitutionnelles, des institutions et des contre-pouvoirs. Et que
le peuple s'impose à lui-même, comme souverain, le respect de ces
règles institutionnelles et des droits fondamentaux qui vont avec.
Cette conception a un nom : le populisme. À y regarder de plus près,
la Suisse est largement infectée par ce mal, qui dicte désormais une
bonne partie de l'agenda politique.
Comme socialistes, il s'agit de ne pas se tromper de débat : le
fait que nous soyons fréquemment minoritaires et opposés au Conseil
fédéral ne doit pas nous pousser dans les bras du populisme : même
si nous sommes souvent en désaccord avec lui, le Conseil fédéral
demeure le mieux à même de fournir une information relativement
objective et dépassionnée sur un objet, étant entendu qu'en
politique l'objectivité absolue n'existe pas. Malgré nos fréquents
désaccords de fond, nous reconnaissons la légitimité
constitutionnelle et démocratique du Conseil fédéral. Informer la
population est l'une des tâches inaliénables de l'exécutif, et le
réduire au silence serait vraiment une perte pour le débat
démocratique.
En refusant l'initiative muselière et celle sur les
naturalisations, le peuple a une bonne occasion de montrer la
différence entre démocratie et populisme : la démocratie a besoin de
règles du jeu équitable, alors que le populisme cherche justement à
les éliminer pour mieux prospérer.