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Article Le Temps, 10.11.06 Loi
suisse sur l’approvisionnement en électricité: les
leçons éclairantes d’une panne de courant. La gigantesque panne de courant qui a frappé
l’Europe ce week-end doit être prise en considération dans le débat
en cours sur la Loi suisse sur l’approvisionnement en électricité.
La hausse régulière de la consommation électrique
(+24% en 10 ans) dans toute l’Europe sollicite de plus en plus
fortement les infrastructures de transports et de production d’électricité.
Dans le même temps, on constate que le marché libéralisé n’a pas
été en mesure de prendre les dispositions qui s’imposent face à
cette situation. Il est du reste emblématique que l’incident ait sa
source en Allemagne, où la quasi inexistence d’un régulateur a
conduit à un laisser-faire total. Le « marché » est dominé
par quatre oligopoles régionaux dont les bénéfices astronomiques
s’expliquent directement par les sous-investissements dans le réseau,
ainsi que l’explique la Süddeutsche Zeitung: « Elles [les
entreprises électriques] ont intérêt très limité [à investir dans
le réseau], car plus il y a de lignes reliant l’Allemagne à l’étranger,
plus ils leur est difficile de contrôler le marché allemand. Or les
grands producteurs de courant veulent absolument en garder la maîtrise,
quelque que soient les échanges commerciaux. Et ils ont tous les
leviers de commande en main, car ce sont finalement eux qui exploitent
également toute les grandes autoroutes de l’électricité »[1].
Pour les quatre oligopolistes allemands, sous-investir
dans le réseau de transport est doublement rentable : d’une
part, les montants ainsi « économisés » vont directement
gonfler le bénéfice. D’autre part, les goulets d’étranglement créent
des zones de clientèle captive, obligé de se fournir sur place faute
de pouvoir acheminer le courant livré par un autre fournisseur. Ce qui
permet de vendre le KWh à un prix surfait. Sous-investir dans la production constitue évidemment
un troisième axe pour faire monter les prix. En Allemagne, ce danger a
cependant pu être partiellement conjuré grâce à la Loi sur les énergies
renouvelables : son mécanisme de rétribution d’injection couvrant
les coût du courant renouvelable a permis en cinq ans d’établir un
parc éolien considérable, puisqu’il assure désormais plus de 5% de
la production électrique en Allemagne, contribuant à modérer les
prix. Dans l’incident du week-end passé, certains ont tenté
d’imputer la faute à une surproduction éolienne, qui aurait
surchargé le réseau. Or en l’occurrence, les premières analyses
ont montré que la production éolienne était conforme aux projections
fondées sur les prévisions météos. Contrairement à un préjugé
tenace, l’addition du courrant produit par des milliers d’éolienne
rend en effet cette forme d’énergie très prévisible dans sa
globalité, même si chaque éolienne prise individuellement ne l’est
pas. Mais indépendamment de ce black-out, il est par contre
exact que l’intégration de l’électricité éolienne dans le réseau
est pour l’instant insatisfaisante : ce dernier n’a pas été
remodelé et renforcé pour acheminer le courant produit au nord de
l’Allemagne, ce qui limite pour l’instant l’exploitation du
potentiel éolien de cette région. Il s’agit là d’un autre effet
négatif du sous-investissement dans les réseaux. On peut en tirer quatre leçons pour le débat en
court aux Chambres fédérales sur l’approvisionnement en électricité. 1) La propriété et l’exploitation du réseau de transport doit être confiée à une société qui demeure en mains publiques et qui soit indépendante des producteurs et des distributeurs. Il s’agit de garantir un développement du réseau dans l’intérêt général. La solution du Conseil des Etats, qui a maintenant passé le cap de la commission du national, va dans le sens bon sens même si le désenchevêtrement n’est pas complet. Toutefois, rien n’est encore acquis, puisque l’UDC et certains radicaux liés à la branche électrique s’y opposent. 2) Chaque nouvelle panne renforce le scepticisme populaire au sujet de la libéralisation du marché de l’électricité. Le compromis négocié entre les syndicats et l’économie, puis amélioré par le Conseil des Etats, représente le strict minium à même de garantir la sécurité de l’approvisionnement. A coup sûr, le peuple rejettera un projet qui serait en deçà. Sagement, le Conseil des Etats avait maintenu à 100 MWh /an le seuil de consommation en dessous duquel il n’y a pas de libéralisation durant les cinq premières années. Et il avait rétabli la possibilité d’un référendum facultatif avant une ouverture totale. Mais ce compromis est maintenant remis en cause au sein de la Commission du national. 3) Il faut inclure dans le projet de loi sur l’électricité des mesures drastiques pour augmenter l’efficacité de l’utilisation de l’électricité, car chaque KWh économisé ne doit ni être produit, ni être transporté. A l’instar des projets de l’Union européenne, la Suisse doit se doter d’une législation plus volontariste. Les économies d’énergies « faciles » permettent à elles seule d’économiser 10% de la consommation : il faut d’une part n’autoriser que les appareils ménagers et bureautiques les plus performants, d’autre part remplacer des chauffages à résistance. 4) La production d’énergie renouvelable doit être massivement encouragée, pour fournir un surcroît de production. Par son caractère décentralisé, elle soulage les réseaux et évite l’importation de courrant d’origine fossile. Concrètement, il s’agit d’adopter la rétribution d’injection couvrant les coûts, qui a fait ses preuves en Allemagne, en la dotant de moyens financiers suffisants et en incluant le photovoltaïque.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |