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Discours du 1er août 2005 à Sainte-Croix
Mesdames et Messieurs, Chers Concitoyennes, chers Concitoyens,
C’est la première fois que j’ai l’honneur de
prononcer un discours du 1er août. A vrai dire, ça me donne un coup
de vieux. Par exemple, vous m’auriez dit le 1er août 1991 -
j’avais alors 18 ans et j’effectuais mon école de recrue - que je
prononcerai quelques années plus tard un discours du 1er août, je ne
vous aurais pas cru. Non pas que j’excluais de faire de la politique –
à vrai dire j’y aspirais déjà – mais parce que je voyais dans le
premier août des relents du nationalisme et du militarisme qui
ont tant fait souffrir notre continent au siècle passé. En été
1991, j’y étais particulièrement allergique. Peut-être était-ce
parce que je subissais mon école de recrue dans les cavernes du fort
de Savatan, une installation qui reflétait plutôt les mythes du passé
que les préoccupations futures. Pour les chanceux qui ne l’ont
jamais visité, ce réseau de tunnels humides était sensé bloquer le
verrou de St-Maurice, à l’entrée du Valais. Malgré les deux mois
et demi que j’ai passé dans ce fort, je n’ai jamais su s’il était
destiné à empêcher les nazis de remonter le Rhône, les Soviétiques
de le descendre, ou simplement de forcer les Valaisans à rester chez
eux…. A l’époque, en 1991, L’inconvénient, c’est qu’il n’y a plus aucune
certitude, plus aucune garantie de rien. Cette situation est évidemment
assez confortable pour les nationalistes : ils organisent régulièrement
ce que j’appelle des foires au hérisson, l’avant-dernière fois le
8 mai à Rafz sur la frontière allemande et la dernière fois le 24
juillet sur le Grütli, et ça leur assure des suffrages à bon marché.
Mais l’incertitude et le changement représentent
aussi l’occasion de redéfinir un projet pour notre pays, un projet
qui corresponde à nos valeurs et qui réponde aux défis de notre
temps. A mon avis, c’est plutôt à cela que sert le premier août,
et c’est ce dont j’ai envie de vous parler. Les défis, j’en vois trois principaux : Le premier, c’est évidemment celui des ressources
naturelles, et en particulier celui de l’énergie . Toute la
population mondiale aspire légitimement à joindre le standard de vie
des pays développés, mais les ressources naturelles ne suffiront pas.
Le cas du pétrole est emblématique : on a atteint le maximum que
l’on peut extraire, mais la consommation augmente encore, ce qui fait
exploser les prix. Notre pays ne peut pas échapper à ce problème. Plutôt
que d’attendre bêtement de nous faire étrangler, il faut tout
mettre en œuvre pour anticiper. En améliorant l’efficacité énergétique
et en développant les énergies renouvelables à large échelle. Ici,
l’Etat a un rôle central à jouer pour accélérer la
transformation. A Ste-Croix, la commune l’a bien compris, puisque il
y a un programme communal de soutien. Mais au Parlement à Berne,
c’est plutôt le lobby des marchands de pétrole qui tient le couteau
par le manche. En terme d’emploi, cette transformation est une chance
à saisir, qu’il s’agisse de la fabrication d’appareils pour la
production d’énergie renouvelable, de l’assainissement énergétique
des bâtiments, de la construction d’infrastructures de transports
publics ou encore de l’exploitation de la biomasse. Par exemple, la
production d’électricité et de chaleur à partir du bois constitue
une opportunité économique pour la région. Aux prix actuels de l’électricité
et du pétrole, ce n’est pas encore tout à fait rentable, mais les
choses changent vite. Il faut donner des impulsions maintenant pour être
prêt demain. Le second défi, c’est d’éviter une explosion des
inégalités économique et sociales à l’intérieur du pays. Pour
l’instant, la situation s’aggrave : d’une part, un nombre
croissant de personnes ne sont plus en mesure de gagner elles-mêmes
suffisamment d’argent pour mener une vie décente. D’autre part,
les salariés n’ont pas bénéficié des gains de productivité de
ces dernières années : en moyenne au cours de la décennie précédente,
le salarié helvétique a augmenté de 15% la valeur de ce qu’il
produit en une heure de travail. Mais sur sa fiche de paie,
l’augmentation du salaire réel n’a été que de 4 %. La différence
est allée pour l’essentiel aux actionnaires, qui ont augmenté leurs
exigences de rentabilité. Il n’y a pas de solution simple à ce problème, car
nous avons besoin d’une économie la plus productive possible,
notamment pour assurer le financement des retraites et la formation des
jeunes. Mais pour l’instant, la machine économique laisse trop de
gens sur le carreau, et il me paraît évident que on ne s’en tirera
pas sans un effort accru de solidarité. Il faudra faire preuve
d’imagination et de volonté pour que chacun puisse trouver une
activité à sa mesure. A Ste-Croix, il peut paraît banal de rappeler
l’importance de la solidarité et de la justice sociale, tant cette région
en est imprégnée par son histoire, sa géographie et sa population.
Pourtant, chère Concitoyennes, chers Concitoyens, il
est indispensable de réaffirmer ces valeurs dans notre pays, parce
qu’elle ne vont plus de soit. On assiste à la montée en puissance
d’une nouvelle idéologie de l’égoïsme, sous la houlette de
professeurs d’économie payés – je devrais dire achetés - par
Avenirsuisse, Economiesuisse et quelques autres groupements du même
genre. On essaye désormais de nous faire croire que l’égoïsme est
non plus seulement un mal parfois nécessaire, mais la plus grande des
vertus. Cette nouvelle idéologie de l’égoïsme, c’est
vraiment un poison qui menace de détruire le lien social. Que penser lorsqu’un prestigieux journal zurichois
fait l’apologie du célibat et décrète que les jeunes parents sont
une catégorie insupportable, parce qu’ils ne se préoccupent plus
suffisamment de leur apparence, parce qu’ils sont trop fiers
d’avoir des enfants et parce qu’ils génèrent des coûts. Que penser aussi lorsqu’Avenirsuisse publie
une nouvelle carte de Que penser enfin lorsque une jeune collaboratrice
d’un bureau de consultant zurichois me demande sérieusement si je
pense aussi que l’on peut réduire l’AVS au niveau de
l’assistance public, puis soit tout étonnée que je lui rétorque
que chaque retraité devrait avoir les moyens d’aller manger de
temps en temps au bistrot et de s’offrir quelques loisirs. Le premier août, c’est la fête de la cohésion de Le troisième défi, c’est la question démographique
et migratoire. En Suisse comme dans la plupart des pays développés,
on ne fait pas assez d’enfants pour contrebalancer le vieillissement,
ce qui pose de très sérieux problèmes pour le financement des
retraites, sauf à faire travailler les gens jusqu’à 70 ans, ce qui
n’est ni souhaitable, ni réaliste. Une partie de la réponse se trouve à cinq kilomètre
d’ici : les Français ont un des taux de natalité les plus élevé
d’Europe, parce qu’ils ont un bon système de soutien sous la forme
de crèches, d’écoles maternelles dès 3 ans, d’allocations
familiales etc. En France, il y 1,9 enfant par femme, alors qu’en
Suisse, on est à 1,4. Grâce à une politique intelligente, les Français
arrivent presque à atteindre le taux nécessaire au maintien de la
population, soit de 2,1 enfants par femme. L’autre partie de la réponse au problème démographique,
c’est évidemment l’immigration. Cela fait longtemps que la Suisse
est une terre d’immigration, à Ste-Croix encore plus qu’ailleurs,
et il faut que cela continue. Sans les étrangers, plusieurs secteurs
de l’économie seraient paralysés par manque de main d’œuvre, à
commencer par les hôpitaux. Sans les étrangers, l’AVS aurait fait
faillite depuis longtemps. Les étrangers payent en effet 24% des
cotisations, mais ne retirent que 15% des rentes AVS. Ainsi, ils
laissent environ 2 milliards par ans de bénéfice dans l’AVS.
La difficulté, pour l’immigration, c’est que En réalité, l’immigration viendra pour
l’essentiel du reste du monde. C’est une immigration plus
difficile, et pour qu’elle réussie harmonieusement, il faudra faire
un effort considérable d’intégration et de formation des nouveaux
venus. Dans ce contexte, j’estime que ceux qui cherchent à attiser
les tensions entre Suisses et étrangers sont des incendiaires qui
nuisent à Bref, Mesdames et Messieurs, vous l’avez compris, il
y a encore du pain sur la planche pour maîtriser ces défis écologiques,
économiques et démographiques. Ce soir, en fêtant le premier août,
on se donne du courage pour y arriver. Mais cette question, on ne la résoudra pas ce soir. Alors, que la fête continue.
1er août 2005
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |