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Article Domaine Public, 24 juin 2005 Loi sur le marché intérieur L’ouverture au pire Le projet voté par le National entend éliminer le
protectionnisme cantonal. Le projet de modification de la loi sur le marché intérieur
(LMI), adoptée par le Conseil national, partait d’une préoccupation
juste, faire tomber les barrières protectionnistes qui existent encore
entre les cantons. La méthode adoptée, à savoir la généralisation
du «principe de provenance» aux filiales d’entreprises ayant leur
siège dans un autre canton, aura cependant des effets pervers et représente
une hérésie institutionnelle. Avec cette nouvelle mouture, un
restaurateur valaisan pourra ouvrir un établissement dans le canton de
Berne sans respecter les exigences légales bernoises en matière de
formation. Il suffira qu’il se conforme à la loi valaisanne,
laquelle n’exige pas de formation. Et si un jour ce restaurateur
ferme son échoppe en Valais, il pourra continuer à exploiter son
restaurant à Berne aux conditions du droit valaisan. Avec cette révision,
on introduit l’application extraterritoriale du droit cantonal, mais
en prévoyant qu’il incombe aux autorités du canton de destination
de surveiller ce qui se passe chez elles. Dans l’exemple mentionné,
il appartiendra donc aux autorités bernoises de surveiller le respect
de la loi valaisanne. Une loi unique Cette révision de la LMI provoquera de fait un
extraordinaire imbroglio juridico-administratif, du moment que chaque
canton non seulement devra appliquer ses propres lois, mais aussi
celles des vingt-cinq autres. Soit potentiellement 676 constellations
de jurisprudence. Il était pourtant possible de faire nettement plus
simple, car l’article 95 de la Constitution confère à la Confédération
la compétence de «légiférer sur l’exercice des activités économiques
lucratives privées». Les Chambres fédérales pouvaient donc adopter
une loi fédérale unique en remplacement des vingt-six législations
cantonales, comme c’est déjà le cas pour certaines professions. Les
partisans à tout crin du marché ne s’en sont pas cachés: ils
voient dans le mécanisme adopté un puissant levier pour démanteler
toutes les régulations, du fait que les cantons les plus exigeants
seront obligés de s’aligner vers le bas pour éviter de discri-
miner leurs propres ressortissants. Les promoteurs de la LMI voulaient
éviter tout débat sur une réglementation fédérale unique. Car un
tel débat aurait montré qu’un certain nombre de règles sont dans
l’intérêt général. Par exemple, qu’il est sage d’exiger des
cafetiers-restaurateurs un minimum de formation préalable, ne
serait-ce que pour les sensibiliser au respect des règles d’hygiène.
Ou qu’il est raisonnable de demander aux naturopathes d’avoir des
connaissances élémentaires de médecine, pour protéger les malades
de la charlatanerie. L’enjeu n’est pas anodin, lorsqu’on sait que
certains cantons n’exigent aucune formation pour l’ouverture d’un
tel cabinet et pourront donc servir de port d’attache aux guérisseurs
les plus douteux. Visiblement, les fans du marché oublient que pour
fonctionner, celui-ci a besoin de fiabilité et de confiance, en
particulier dans les domaines où le client n’est pas en mesure d’évaluer
d’emblée la qualité. Mais l’idéologie néo-libérale ne tolère
pas la notion d’intérêt général, considérée comme un vulgaire
obstacle technique au commerce.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |