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Traduction d’un article paru dans le Tages-Anzeiger 11.5.05
Dans les
cours de civisme, on enseigne que L’histoire récente de nombreux foyer de crise montre cependant que la cohabitation pacifique et prospère entre différentes communautés culturelles et linguistiques ne va pas de soi. Notre pays n’est pas épargné, car plusieurs évolutions parallèles se liguent pour miner la cohésion de la Suisse. Ces tendances sont étroitement liées à la morosité économique régnante. Les grandes entreprises ne peuvent ou ne veulent plus s’offrir le luxe de prêter attention aux intérêts de la Suisse romande. Elles privilégient les critères de rentabilité à court terme. Or, ces critères constituent justement un poison pour les minorités, car la pluralité des langues coûte cher. Il est en effet toujours plus rentable se lancer sur le marché le plus grand, à savoir la Suisse alémanique. Il arrive rarement qu’une entreprise d’envergure nationale lance un produit d’abord en Suisse romande pour le tester, puis le diffuse ensuite sur le marché Suisse alémanique. Il a une certaine logique à procéder dans l’ordre inverse. Mais cela pénalise grossièrement les fournisseurs et les employés romands. Les mêmes constats sont valables lors de restructurations d’entreprises nationales: les postes sont généralement coupés d’abord en Suisse-romande. Les régions périphériques de Suisse alémanique sont également touché par ces tensions économiques, comme me l’a récemment expliqué de manière convainquante un Conseiller d’Etat uranais. Mais la frontière linguistique rend ces tensions économique plus explosives. L’omniprésence du suisse-allemand à l’école et dans les médias électroniques, SSR comprise, constituent une source puissante de discrimination, tant pour les suisses latins ou que pour les étrangers. En effet, le dialecte n’étant pas une langue écrite, son apprentissage nécessite deux ou trois d’immersion. Dans ces circonstances, la montée de l’anglais comme première langue étrangère enseignée s’avère catastrophique. Non pas à cause des difficultés de compréhension linguistique que cela entraîne – à vrai dire, la compréhension entre romands et alémaniques n’a jamais été particulièrement bonne –, mais parce qu’il s’agit d’un manque de respect envers les minorités du pays. Le Grand Conseil bernois fait heureusement de la résistance. En refusant une telle proposition, il doit se sentir comme le dernier des Mohicans. Mais le fait même qu’un canton bilingue ait à se prononcer sur une intervention demandant l’introduction de l’anglais précoce comme première langue étrangère à l’école est inquiétant.
La
vision différente du rôle de l’Etat que l’on a de part et
d’autre de Longtemps, la Confédération a cherché à renforcer les liens à travers des moyens plus ou moins adéquats, comme l’armée ou le service public. Cette époque est terminée. La pression à économiser, soutenues frénétiquement par certaines forces politiques, devient de plus en plus forte. De plus, la libéralisation ou l’autonomisation des anciennes entreprises publiques a pour conséquence d’étendre de plus en plus le domaine d’application de ces critères de rentabilité au sens étroit. On ne doit dès lors pas s’étonner que l’essentiel des achats de biens de la Confédération se concentre sur Zurich et Berne. Il n’est pas non plus étonnant que l’administration pense et travaille en allemand : 96% des traductions se font désormais de l’allemand vers le français. Nouveauté peu réjouissante, le Conseil fédéral a constitué une chancellerie purement germanophone. La tentative de se justifier ex post en disant que l’italien est la première langue étrangère de la nouvelle vice chancelière constitue un manque de respect, car l’italien a ainsi complètement disparu des organes l’exécutif. Récemment, le directeur d’un office fédéral m’expliquait qu’il ne pouvait pas traduire en français un document nécessaire aux travaux d’une commission parlementaire, parce que son budget avait été réduit. Ce n’est finalement qu’après un coup d’éclat que j’ai pu obtenir une traduction partielle, laquelle est arrivée après le débat auquel elle était destinée. A cette occasion, un radical, au demeurant représentant de premier plan de la ligne dure, m’a apostrophé en me faisant savoir que je maîtrisais suffisamment l’allemand pour prendre connaissance de ce texte et que je n’avais pas besoin de traduction. Alors qu’il n’aurait lui-même rien compris à ce texte fort compliqué s’il avait du le lire en français. On n’observe hélas aucun indice de renversement de cette tendance. De plus, aucun pas en direction renforcement de la cohésion ne se dessine actuellement. Seule une action déterminée de la société civile et du monde politique visant à contrecarrer les forces centrifuges serait de nature à freiner cette dislocation lente. En fin de compte, la Suisse alémanique doit clarifier la question de savoir si la co-existence avec la Suisse romande et le Tessin est encore intéressante à ses yeux. Si la réponse est non, l’existence même de notre pays - « willensnation » - est en danger, car il ne sera plus rentable. Traduction d’un article paru dans le Tages-Anzeiger.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |