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Articles Le Temps, 22 avril 2005 En refusant l’austérité, le peuple vote-t-il
de manière incohérente ? Le Conseiller national socialiste Roger Nordmann,
responsable du comité favorable aux décrets fiscaux rejetés ce
week-end par le peuple vaudois, interprète le vote populaire
comme le refus d’une régression des conditions de vie. Ce qui place
le débat sur un niveau plus économique que comptable. Au lendemain du rejet des décrets fiscaux vaudois et
de la loi sur les EMS, bien des commentateurs ont dénoncé la prétendue
incohérence du peuple. Lors de votations de principe, non liées à
des mesures concrètes, le peuple se prononce généralement en faveur
de l’assainissement. Mais les conditions qu’il pose– ni économies
ni impôts supplémentaires – rendent la mission impossible pour les
autorités. Le rejet des révisions de l’AVS et de la TVA le 16 mai
2004 s’inscrit dans la même ligne, le refus du paquet fiscal
signifiant l’attachement aux prestations de l’Etat. Ces considérations sur l’incohérence du peuple me
laissent cependant perplexe : comment expliquer que des citoyens
plutôt cohérents et rationnels dans leur vie quotidienne votent de
manière aussi illogique ? On peut certes invoquer des majorités
tournantes, ou un déficit d’information, voire de la manipulation.
Mais sachant que les quatre décrets fiscaux soumis au peuple vaudois
ont été rejetés par des scores variant entre 52 et 68% de non, il
est clair que les votants avaient assez bien saisi les enjeux, sans
quoi ils n’auraient pas voté de manière différenciée. En écoutant les réactions des gens, il me semble
qu’ils fondent leurs réticences sur le raisonnement suivant :
« nous ne voyons pas pourquoi nous devrions diminuer notre
confort, alors que nous travaillons de plus en plus durement, avec des
outils de plus en plus performants ». Avec cette clé de
lecture, les différents votes populaires deviennent nettement plus
logiques. Les citoyennes et les citoyens estiment légitime d’améliorer
leurs conditions de vie. Ils sont de plus en plus allergiques au prêche
de l’austérité, du renoncement et de l’ascétisme, d’autant
plus que ceux qui disent qu’il faut se serrer la ceinture portent le
plus souvent des bretelles, selon la formule consacrée. Vu qu’un canton n’a pas d’emprise sur la
politique économique globale et qu’un refus ne résout pas les problèmes
socio-économiques, le peuple aurait dû accepter ces décrets et la
loi sur les EMS : tant qu’à assainir, autant que ce soient les
plus aisés qui payent. Mais les votants ont transcendé cette
perspective et détourné la question. Comme en France, où le référendum
sur la Constitution est pris en otage par les enjeux socio-économique. L’irritation populaire est d’autant plus forte que
les efforts d’assainissement des finances publiques n’arrivent pas
seuls. En Suisse comme dans l’UE, ils s’inscrivent dans une
politique économique plus générale de concurrence extrême qui fait
baisser des salaires. Ces mesures sont sensées restaurer la « compétitivité
perdue » de l’économie et générer de la croissance. Appliquée
depuis une bonne dizaine d’années, cette politique étouffe
cependant la demande, inhibe la croissance et creuse les inégalités.
Les craintes populaires sont légitimes : si jamais cette
politique d’austérité arrivait malgré tout à générer de la
croissance, à force de mettre les gens sous pression, il est d’ores
et déjà certain que ses fruits seront répartis de manière très inégale.
Ce qui augmente le besoin d’intervention de l’Etat et aggrave les déficits.
La politique économique actuelle me paraît donc sans issue, et
c’est contre cela que s’adresse la protestation. Accessoirement,
cette politique économique aggrave la situation sous l’angle bien
particulier des finances cantonales. En terme de diagnostic, les tenants de la politique économique
actuelle ont raison de dire qu’il ne sera pas facile de maintenir ou
d’améliorer les conditions de vie : le vieillissement de la
population et l’allongement du temps de formation augmente la charge
sur les actifs et pèse sur le revenu disponible par habitant. Comme la
Suisse avait atteint un niveau de vie très élevé, elle plafonne en
comparaison internationale, d’autant plus que la rente de situation
qu’offrait la place financière s’érode progressivement. Enfin,
les problèmes environnementaux et la pénurie énergétique qui se
dessinent à l’échelle planétaire donneront du fil à retordre. A mon sens, il faut sortir de cette impasse par le
haut en appliquant une politique économique dynamique, mais dont la
mise en œuvre soit socialement acceptable. Il s’agit simultanément
d’augmenter la productivité du travail - pour financer le
vieillissement et la formation - et d’assurer une répartition équitable
des fruits de cette productivité accrue. Cela passe par un
renforcement volontariste de la consommation globale, pour relancer la
machine. A cet effet, il faut notamment diminuer les sommes stérilisées
en cotisations au deuxième pilier et renforcer les allocations
familiales, qui sont immédiatement dépensées. Dans ces conditions
plus favorables pour les ménages, les efforts d’accroissement de
l’efficacité de la machine économique (c’est à dire de l’offre
globale) seront moins douloureux, et se concrétiseront donc plus vite.
Last but not least, avec davantage de croissance, la question des
finances publiques se résoudra d’elle-même. On se prend même à
espérer qu’un jour, il sera possible de remodeler le découpage
territorial helvétique, source de nombreux gaspillages. Le
programme économique que le PSS prépare actuellement devra répondre
à ces défis. Car le pays en a besoin.
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Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |