|
Article 24 Heures, 12 juillet 2003 BCV - Rapport Bernasconi: Concilier l’intérêt général et la protection de la personnalité
La Suisse est un Etat qui respecte les droits de l’homme. Cela
implique notamment que toute personne inculpée d’un délit a droit
à un procès équitable et qu’une personne est présumée innocente
tant n’est pas condamnée définitivement. Il existe aussi un
principe de protection de la personnalité selon lequel il est
inconvenant de dévoiler l’identité de personnes inculpées, sauf
s’il s’agit de personnalités très connues. Il est donc compréhensible
que des présumés « seconds couteaux » s’inquiètent de
voir une fuite rendre public le rapport Bernasconi. Ce souci est
d’autant plus compréhensible que M. Bernasconi n’avait pas de prérogative
judiciaire et que son statut est celui d’un détective privé engagé
conjointement par l’Etat et la BCV.
Néanmoins,
faut-il pour autant couler une chape de plomb sur ce rapport ?
Assurément non. Tout d’abord parce que l’enquête de M. Bernasconi
ne porte pas que sur des agissements individuels, mais sur une
dynamique d’ensemble. Les contribuables vaudois, qui ont injecté en
quatre ans 2,1 milliards de francs pour sauver la BCV, ont le droit de
connaître ce qui s’est passé, indépendamment de la question des
responsabilités pénales individuelles. Pour éviter que de pareilles
dérives ne se reproduisent, les observations de M. Bernasconi doivent
faire l’objet d’un débat public. Contrairement à ce qu’a récemment
titré 24 Heures, il ne s’agirait pas de trahir la BCV, car la
transparence est dans l’intérêt de la banque elle-même.
Fort
heureusement, il existe une voie médiane permettant de concilier le
souci de protection de la personnalité et la transparence : elle
consiste à rendre le rapport public en masquant l’identité des
seconds couteaux. C’est du reste une méthode similaire qu’avait
adoptée le Conseil d’Etat le 22 mai 2002 à propos le rapport
Andersen sur l’origine des pertes de la BCV. Ce dernier avait été
rendu public avec, sur la couverture, la mention suivante :
« Elle [la présente version de ce rapport] correspond à
notre version originale (…), à l’exception des noms de clients ou
de sociétés (…), dans le but de protéger le secret des affaires. ».
En
s’obstinant à refuser une publication caviardée, le Conseil
d’Etat et la BCV donnent l’impression qu’il s’agit de protéger
grands secrets et petits copains. Cette attitude est politiquement
insupportable. Elle viole en outre le principe de transparence,
explicitement prévu dans la nouvelle Constitution du 14 avril
2003. Il est humain de se tromper, mais persévérer dans l’erreur
est diabolique, dit le proverbe. J’attends donc du Conseil d’Etat
qu’il publie sans délai ce rapport. Il doit le faire sous une forme
raisonnablement caviardée, c’est à dire sans masquer les
agissements collectifs des organes de la banque. Dans la mesure où MM.
Treyvaud et Duchoud sont des personnages très connus, leurs noms
doivent rester lisibles lorsqu’il s’agit de faits avérés et non
d’hypothèses.
Le
débat sur ce culte quasiment soviétique du secret ne doit toutefois
pas occulter les questions encore ouvertes. Pour ma part, j’en
identifie trois principales : 1)
A lire la récente
interview de M. Zeller, nouveau directeur général, la BCV a enfin
commencé à se débarrasser des actifs les plus voraces en fonds
propres. Dès lors et vu la situation des finances cantonales, ne
serait-il pas judicieux que la BCV rachète à l’Etat un premier
paquet de bons de participation, afin que celui-ci puisse rembourser
quelques emprunts ? 2)
Comment se fait-il
que le Département des finances sous l’ère Favre ait lancé un
projet de recapitalisation (1999) et de privatisation (2000) sans
prendre le soin d’examiner de près le bilan déjà pourri de la BCV ? 3)
Quelle étaient
modalités de rémunération au bonus des dirigeants de la banque, et
ont-ils manipulé les bilans pour se maintenir en place et bénéficier
ainsi le plus longtemps possible de contrats de travails indécents ?
Pour
avoir posé cette dernière question en février 2002 sur la base
d’une analyse des rapports annuel, l’auteur de ces lignes avait été
menacé de poursuite pénale par les sbires de M. Duchoud. Mais ces déplacées
tentatives d’intimidation ne rendaient pas la réponse moins nécessaire. 24 Heures, 12 juillet 2003
|
|
Contact: Roger Nordmann, Rue de l'Ale 25, 1003 Lausanne, Twitter @NordmannRoger 1.04.2017 |