Traditionnellement, l'initiative populaire était
considérée, à gauche et chez les Verts, comme un instrument de
progrès. Permettant à la fois de lancer le débat et d'exercer une
pression sur les autorités élues, elle était censée préparer le
progrès social ou écologique. Souvent, le lancement d'une initiative
était le premier pas symbolique vers la prise en considération des
idées de nouveaux mouvements sociaux. La brutalité du rejet des sept
initiatives du week-end dernier appelle une sérieuse remise en
question de l'usage de cet instrument, d'autant que les «berezinas»
se sont accumulées ces dernières années.
Si les initiants savent depuis toujours que leurs initiatives n'ont
quasiment aucune chance d'être acceptées en raison de la double
majorité, ils escomptent un effet indirect sur le processus
parlementaire. En substance, sous la pression de l'initiative, le
législateur est contraint d'accepter une partie des revendications
des initiants. Mais encore faut-t-il que l'acceptation de
l'initiative soit une hypothèse crédible. Or, tel n'est plus le cas,
sauf pour certaines initiatives populistes de droite en matière
d'asile et d'impôts. Et objectivement, on constate que les
initiatives vont de plus en plus à fin contraire : les votations de
ce week-end n'ont-elles pas remis en selle l'énergie nucléaire et
relégitimé un système de primes d'assurance maladie par tête qui
semblait en perte de vitesse ?
L'évolution de la communication politique contribue à affaiblir les
initiatives. Alors qu'elle était longtemps considérée comme un
antidote aux lobbys économiques, la démocratie directe est en passe
de devenir leur instrument privilégié. Si l'asymétrie des moyens
financiers n'est pas nouvelle, son impact est aggravé par
l'affaiblissement des réseaux militants qui bénéficiaient à la
gauche et aux écologistes. Les lobbys économiques mènent des
campagnes de plus en plus efficaces et simplistes contre les
initiatives, de sorte que l'on ne peut les contrer de manière
adéquate.
Les succès occasionnels de la gauche en référendum relèvent en réalité
de la même évolution : contre le gouvernement, un groupe
référendaire peut gagner malgré de très faibles moyens financiers.
Mais pour cela, il doit mener une campagne brutale et simplifier au
maximum. Quelle que soit la question, la défense du «NON» est de
plus en plus aisée. La gauche en est ravie lorsqu'il s'agit de
combattre des démantèlements d'acquis socio-écologiques ou des
privatisations. Elle est déçue lorsque les innovations qu'elle
propose se fracassent sur les récifs de la démocratie directe.
Ce constat nous ramène à la question de fond : notre collectivité
est-elle encore capable de désirer et de décider d'un changement ?
Si oui lequel ? Il semble en tout cas que le statu quo ait un très
fort attrait, ou du moins qu'il l'emporte aisément. Mais cela
signifie-t-il pour autant que la population suisse est, globalement,
satisfaite de ses conditions de vie ? Ou encore que les projets
portés par les initiatives sont complètement décalés par rapport aux
aspirations de la population ? Plus prosaïquement, la population ne
fait-elle plus confiance aux institutions et au monde politique pour
lui proposer des changements crédibles ? Ces questions sont
importantes, car il serait surprenant que le statu-quo soit toujours
la meilleure solution. L'immobilisme peut être synonyme de
régression.